Études théologiques et religieuses, par Elisabeth Couteau
Élaboré à l’occasion du millénaire d’Avicenne, cet ouvrage est l’édition et la traduction de trois « récits » avicenniens qui développent une perspective mystique. Le Cycle des Récits raconte les phases du « Voyage vers l’Orient » de l’âme. C. a commenté cette édition en mettant en lumière l’angélologie d’Avicenne où se transmuent en termes mystiques la doctrine des Intelligences et des Âmes célestes. Il évoque différentes traditions gnostiques qui appartiennent à l’islam. Ces traditions renvoient elles-mêmes aux gnoses des religions juive et chrétienne.
Ce livre est constitué de 3 parties. La première, Le Cycle des Récits avicenniens, mentionne les grands thèmes propres à montrer la situation philosophique de l’homme avicennien dans le cosmos et la situation de l’univers avicennien lui-même dans la pluralité des systèmes philosophiques. Il s’agit du Récit de Hayy ibn Yaqzân, du Récit de l’Oiseau, du Récit de Salâman et Absâl. Une deuxième partie est consacrée à la traduction intégrale du commentaire persan du Récit de Hayy ibn Yaqzân. La troisième partie recueille un nombre important de notes et gloses sur ce Récit. Nous nous intéresserons uniquement à la première partie.
Présentons ces Récits. Le Récit de Hayy ibn Yaqzân est l’initiation aux Formes archangéliques de lumière qui s’opposent à l’occident du monde terrestre et à l’extrême-occident de la Matière pure. Il décrit un cosmos dont les données philosophiques se muent en symboles et invite l’adepte à entreprendre le voyage mystique vers l’Orient. Le Récit de l’Oiseau donne la réponse à cette invite. L’âme s’est éveillée à elle-même. En l’extase d’une ascension mentale, elle franchit les vallées et les chaînes de la montagne cosmique. Elle marche en compagnie de l’Ange. Le Récit de Salâman et Absâl typifie dans ces deux figures le couple d’Anges terrestres que mentionne le § XXI du Récit de Hayy ibn Yaqzân. Ce couple comprend les deux puissances intellectives de l’âme, spéculative et pratique. La structure de l’âme réfléchit en elle-même la structure qui ordonne les couples d’Archanges-Kerubim et d’Anges-Âmes qui meuvent les sphères célestes. Il existe deux versions de ce récit. Les trois Récits répondent aux questions: Où est l’Orient? Comment s’y diriger? Comment y atteindre ?
Ces narrations nous montrent l’Image que l’homme Avicenne porte en lui-même. C’est une Image qui exprime l’être le plus profond de la personne. Chacun de nous porte en lui l’Image de son propre monde et la projette. Cette situation se maintient tant que les systèmes philosophiques se donnent comme établis et cesse à la prise de conscience qui permet à l’âme de franchir triomphalement les cercles qui la retenaient prisonnière. Cette aventure est contée ici, à titre d’expérience personnelle, dans le Récit de Hayy ibn Yaqzân et dans le Récit de l’Oiseau. L’âme révèle toutes les présences qui l’habitaient depuis toujours. Elle pressent une famille d’êtres de lumière qui l’attirent. La figure de l’« Intelligence agente » qui domine cette philosophie révèle sa proximité, sa sollicitude. L’Ange s’individue sous les traits d’une personne précise, dont l’Annonciation correspond au degré d’expérience de l’âme. Par l’intégration de ces puissances, elle s’ouvre à la trans-conscience. La décision de l’avenir lui incombe, celui-ci dépend de son refus ou de son acceptation d’une nouvelle naissance. Le Récit de Hayy ibn Yaqzân figure en tête du « Cycle des Récits » car il enseigne l’orientation fondamentale. Il constitue la grande réponse d’Avicenne. L’âme est simultanément orientée dans le sens de sa condition d’étrangère et vers la nécessité d’une philosophie orientale. Elle ne peut plus se satisfaire des règles communes et collectives. Elle doit trouver la voie pour le Retour. Cette voie est la Gnose et l’âme a besoin d’un Guide. Celui-ci est la figure-archétype de nos Récits d’initiation, l’âme se découvre comme étant la contrepartie terrestre d’un autre être avec lequel elle forme une totalité de structure duelle. Ces deux éléments peuvent être désignés comme le Moi céleste transcendant et le Moi terrestre. Le Soi est « en personne » la contrepartie céleste d’un couple constitué d’un ange déchu ou ordonné au gouvernement d’un corps et d’un ange resté dans le Ciel. Un des traits les plus frappants qui se dégagent du Récit de Hayy ibn Yaqzân est la parenté et l’homologie de structure qui unissent les uns par les autres les Archanges ou Intelligences et les êtres qui en procèdent.
Quel est maintenant l’itinéraire ? Il faut gagner l’espace spirituel. L’Oiseau du Récit s’élève de sphère en sphère. Les mouvements célestes sont ici « une immense symphonie de désir et de nostalgie vers une perfection sans limites ». L’opération mentale constitutive du ta’wîl apparaît comme le ressort de la spiritualité. C’est une exégèse intérieure, ésotérique. Il s’agit d’atteindre à « ce qui fut l’expérience de l’Âme chez une âme », de comprendre à quoi tend l’Événement qui s’appelle naissance spirituelle.
Que retenir aujourd’hui de la leçon d’Avicenne ? Le symbolisme avicennien et sa mise en œuvre, tel que les Récits en témoignent, ouvre la voie difficile menant à la Présence pure.