Livres hebdo, 5 mai 2006, par Jean-Maurice de Montremy
Un divan en une seule poche
Verdier lance sa nouvelle collection de poche avec la première intégrale française du Divân de Hâfez, le plus grand poète lyrique persan. Un monument portatif.
Il y a sûrement de l’inconvenance à mettre d’emblée l’accent sur le rapport qualité-prix s’agissant du Divân de Hâfez (XIVe siècle), chef-d’œuvre de la poésie lyrique persane. Mais les éditions Verdier ne manquent pas de panache en inaugurant leur nouvelle collection « poche » avec la première traduction intégrale française de ces quelque cinq cents courts poèmes, enrichie d’une introduction qui pourrait être un essai, d’un très utile index thématique et de remarquables commentaires. Le tout en 1280 pages pour 25 euros. Cette quintessence – cinquante années de la carrière du poète – a demandé seize ans de travail au maître d’œuvre français, Charles-Henri de Fouchécour.
Divân signifie tout simplement « recueil ». Quant à son auteur, Hâfez, c’est « celui qui sait par cœur le Coran ». On comprend ainsi d’emblée la portée mystique de ces chants d’amour, où se retrouvent les thèmes courtois (l’Aimé, la coupe, le vin, les oiseaux, les musiques…) mais dont l’interprétation joue de tous les registres. Le chant raffiné puise aussi bien dans la philosophie que dans un Coran lu à plusieurs degrés symboliques.
Le décor, les objets et les personnages renvoient à Chiraz, où Hâfez naquit et mourut, y passant l’essentiel de sa vie – son superbe tombeau est devenu lieu de culte et de pèlerinage. Charles-Henri de Fouchécour montre aussi l’importance du contexte historique et politique qui fait, chez le poète, l’objet d’un travail subtil. Mais il s’agit plus encore d’une méditation et d’une célébration de l’Amour où l’on reconnaît à la fois la tradition grecque et l’« érotique divine » qu’attestait déjà leCantique des cantiques (IVe siècle avant J.-C.). L’homme, nous dit Hâfez, a reçu dans la prééternité la vocation d’aimer un Aimé et d’aimer ainsi Celui qui l’enflamme d’amour tout en restant dans le secret. Seule l’ascèse – l’« exercice » – permet de dire cet amour. Un amour qui ne s’exprime avec sincérité que dans la « douleur d’amour ». Hâfez invite chacun à s’examiner et à se reconnaître hypocrite jusque dans les plus hautes célébrations, car l’amant cherche toujours à moyenner, à ruser, à s’épargner trop d’épreuves, fût-ce en proclamant accepter ou rechercher la souffrance.
Chaque poème d’amour – le ghazal – compte une dizaine de distiques. Le poète choisit, pour chaque œuvre, une métrique elle-même symbolique, joue bien sûr des assonances et s’appuie le plus souvent sur un mot « refrain » dont l’ensemble du poème est une variation. D’où l’indispensable présence, pour chaque ghazal, du commentaire proposé par Charles-Henri de Fouchécour – commentaire qui ouvre des pistes sans jamais imposer une seule lecture. Si bien qu’il faut d’abord lire le texte pour lui-même, avec son énigmatique beauté puis, selon l’humeur, se lancer au pays des mille et un symboles.
Le Divân inaugure superbement la nouvelle collection. Celle-ci comptera une vingtaine de titres par an : soit des inédits, soit des reprises du fonds Verdier. L’axe principal sera la théorie (sciences humaines, histoire, philosophe et spiritualité), ce qui retiendra particulièrement l’attention des étudiants. Littérature et poésie, on le voit, ne sont pas pour autant oubliées. Avec Le Divân paraissent des textes d’Henri Meschonnic, de Giani Stuparich, et du rabbi Haïm de Volozine, grand talmudiste du début du XIXe siècle. Dès l’automne viendront Friches, des haïkus de Basho (Japon, XVIIesiècle), mais aussi les Écrits sur le cinéma de Benjamin Fondane ou le Parménide de Jean Bollack.