Ouest France, 6 février 2009, par Martine Sabourault

Après Le Pli, Sarah Streliski, née à Angers en 1973, vient d’écrire Accident. Le roman déroule des séquences d’un film qui pourrait être qualifié d’autofiction, mais qui s’en émancipe avec humour.

Comment est née l’idée de ce roman dans lequel Sam, traducteur de Shakespeare un peu perdu, se trouve obligé d’héberger un grand-père paria dans sa propre famille, qui lui demande d’écrire l’histoire secrète de sa vie  ?

Dans ce roman, il y a une subjectivité assumée, même si vous refusez l’autofiction. Vous avancez comme un archéologue, mais aussi avec distance et implication ironique, voire comique, ce n’est pas tout à fait le livre de l’intranquillité ?

Ça l’est en partie, mais l’intranquillité consciente inclut pour moi une certaine forme de rire. Hamlet, le fils, l’homme de la conscience moderne, inquiète, se change en bouffon pendant tout un acte. J’ai mis en place la construction de mon roman à partir de ce motif réel, grave, (j’ai effectivement été éjectée d’une Audi avant d’apprendre à parler) qui tenait enroulé en lui toute une bobine imaginaire dont j’ai progressivement tiré le fil. La trame narrative est inventée. Si j’écris une histoire partant de cet événement familial (l’accident), forcément je caricature les fonctionne-ments de ma famille qui sont ceux de toutes les familles. En restant dans Shakespeare, le côté du père est dans l’épique comme avec Lear. Sur ce mode, ma narration évoque trois générations confrontées à la transmission et à la trahison.

Vos personnages ne sont pas méchants. Pas assez peut-être ?

C’est peut-être, je peux le concevoir, que la bonté trop simple dont se plaint Sam, j’en suis moi-même encore captive. Mais cela dit, ce manque de méchanceté fait aussi partie d’une lâcheté réelle assez caractéristique du monde contemporain.

Vous travaillez à Paris aux côtés de Claude Lanzmann, comment trouvez-vous le temps de votre propre temps ?

Je prends celui d’écrire dès que je peux, les après-midi. Travailler pour un homme qui aime tant les livres, qui lui-même écrit beaucoup, est forcément un avantage. On pense mieux, entouré de gens qui pensent. Ensuite, il sait exactement de quoi il s’agit et respecte mon propre temps.