La Croix, 2 avril 2012, par Marianne Meunier
Plus de cent ans après sa première publication, un texte de l’historien Jules Michelet reflétant la prostration française après la défaite de 1870 contre la Prusse est réédité. Un petit ouvrage nerveux et brouillon – moins de 150 pages chargées de virgules et de points d’exclamation –, où les chapitres se succèdent selon une logique qui parfois échappe.
Jules Michelet a quitté la France en septembre 1870, juste après la capitulation de Napoléon III à Sedan. L’historien écrit cet étrange essai dans la douleur de l’exil, à Florence, où il fut imprimé, en février 1871, trois ans avant sa mort. Douleur aussi d’un patriote blessé, alors que la France s’apprête à l’amputation de l’Alsace-Lorraine après sa défaite face aux troupes de Bismarck. « J’ai écrit ce petit volume dans l’obscurité de décembre, sous le grand linceul de neige qui couvrait toute l’Europe », conclut-il. Dans la précipitation des revers militaires français qu’il observe à distance, l’historien réfléchit aux raisons de la guerre entre le Second Empire et le royaume de Prusse. « Regardons de haut cette Europe ensanglantée, écrit-il. Que voyons-nous ? À l’ouest, les ateliers, les fabriques et la grande fabrique agricole, les hommes de production, les créateurs de la richesse commune du genre humain. À l’est, nous voyons en marche les hommes de destruction. »
Empreint de nationalisme, le texte déroule les oppositions entre Français et Prussiens pour, toujours ou presque, pencher en faveur des premiers. Mais l’auteur ne se départit pas d’une compassion pour ces peuples des États allemands indépendants sur le point de passer sous la couronne prussienne. « Deuil commun aux deux pays, écrit-il. La différence est que là-bas ce sont surtout des époux, des pères que l’on a perdus. Ici, des fils – dont la perte est non moins sensible. Mais ils ne laissent pas d’orphelins. »
La France devant l’Europe est une œuvre crépusculaire, nourrie par le désespoir d’un homme qui n’a pourtant cessé, au cours de son travail d’historien, d’annoncer la « Révélation » d’une humanité enfantée par l’éclair de la Révolution française.