Le Journal du dimanche, 21 décembre 2008, par Jean-Maurice de Montremy
François d’Assise en inventeur du capitalisme
Le sujet
Pauvreté, marginalité, richesse : tels sont les débats qui, dès la fin du XIIe siècle, agitent les cités italiennes et, bientôt, les grands centres urbains de la chrétienté. Au cour du Moyen Âge naissent en Occident la question sociale et les théories économiques. Giacomo Todeschini le rappelle dès le début de sa Richesse franciscaine, l’un des essais les plus originaux de cette fin 2008.
Depuis le XIe siècle, l’Europe, massivement rurale, connaît un début d’exode vers les villes. Une nouvelle urbanisation se développe. Elle ne ressemble à rien de connu et suscite une réflexion intellectuelle et politique inédite dont témoigne l’apparition des premières universités et d’un personnage nouveau : le marchand voyageur. Celui-ci devient banquier avec l’invention de la lettre de change. L’Occident se trouve alors face à ce que nul n’avait « pensé » : la naissance d’une société de marché où se développe un autre « impensé », la finance. Voici une richesse créée non par un travail visible mais par le jeu de l’espace, du temps et des écritures. Ce dont s’angoissent les marchands eux-mêmes : tout cela est-il moral ?
Ainsi François d’Assise rompt-il en 1206 avec sa famille marchande. Il choisit la pauvreté radicale sur le modèle de Jésus. Dès 1209 (on fête les huit cents ans l’an prochain) des compagnons s’organisent autour de lui. C’est l’ordre franciscain. Celui-ci repose sur la pauvreté volontaire, refusant les « bénéfices » qui assuraient la vie des monastères. François vit de la mendicité tout en prêchant dans les villes un peuple déraciné. On doit aux franciscains, soit dit en passant, la crèche de Noël.
Mais on leur doit aussi bien davantage. Giacomo Todeschini suit la genèse d’une de leurs inventions révolutionnaires : celle de la théorie économique. Pour moraliser la richesse, il faut la comprendre. L’historien raconte comment les franciscains décrivirent la circulation de l’argent, la formation des prix, le contrat et les règles du marché.
L’intérêt
Critiquant la thèse simpliste selon laquelle la révolution capitaliste aurait été le propre de l’Europe protestante face à une Europe catholique attardée, Giacomo Todeschini montre la vitalité du débat au XIIIe siècle. Les « intellectuels » que sont alors les universitaires franciscains se fondent sur leur expérience de la pauvreté choisie pour opposer l’accumulation « vaine », immobile, des propriétaires fonciers (châtelains, nobles) à la richesse « utile » du capital mobile des marchands. Ce capital, à condition qu’il soit redistribué, contribue à la croissance du « bonheur citadin ». Les conséquences artistiques, culturelles et matérielles de ce choix seront considérables.