Le Monde, 13 mai 1994, par André Velter
La lumière de Luzi
Et Luzi est bien ce poète de l’« avènement » qui, jusque dans l’incertitude et l’angoisse, sait que la vie rebelle, éclatante ou aveuglée, vient inéluctablement au jour. Il ne dit pas explicitement si c’est par grâce ou combat, mais son diptyque théâtral, publié sous le titre Livre d’Hypatie, privilégie la voie magmatique, convulsive, sanglante. Cette polyphonie, d’une extrême richesse, d’une implacable intuition, met en scène, dans l’Alexandrie du cinquième siècle, la plus fameuse représentante de la philosophie néo-platonicienne : Hypatie. Celle-ci tandis que le christianisme est devenu religion d’État, s’est vouée à la défense de l’héritage grec. Elle sera tuée dans une église par une foule inculte et fanatisée.
Dans ce drame, ce qui intéresse Luzi, ce n’est pas ce qu’il appelle « la très allusive équivalence des époques », c’est le rôle de la barbarie, son irruption décisive dans les périodes charnières. C’est aussi, pour l’individu jeté en cette mêlée, la nécessité de recevoir l’impensable, « la part adverse, le négatif », et d’accepter de s’épanouir en partie contre soi-même. « Tout ce que tu dois combattre, tu dois aussi le porter, / l’accueillir dans ton cœur et là-dedans le vaincre. »
Avec ce livre admirable, véritable mise en abîme, Mario Luzi rejoint une certaine sagesse orientale au paradoxe foudroyant, qui ne craint pas d’annoncer : « Mon ennemi est mon maître. »