Le Monde des livres, 13 juin 2008, par Jean-Paul Dubois

Jean-Baptiste Harang : canicule et crêtes de coq

Durant l’été 2003, selon l’Inserm, la canicule fit, en France, 19490 morts. Avec un peu de recul et une vigilance accrue, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale aurait pu ajouter une unité supplémentaire à son sinistre décompte. Cette victime oubliée s’appelle Jean-Baptiste Harang, écrivain singulier, et célèbre pour ses critiques à Libération.

À la demande de ce journal, le présomptueux accepta donc, au plus fort des chaleurs, de tenir, trente-cinq jours durant, une invraisemblable chronique quotidienne intitulée « Passer du coq à l’âne ». Cet exercice aventureux consistait à rendre chaque matin une histoire sans queue ni tête, qui commençait par les mésaventures d’un coq auquel il fallait généralement « couper les couilles », avant de se terminer 3 800 signes plus loin par quelques turpitudes de baudets et autres âneries. Se contraindre ainsi, sous de pareils climats, à jongler sans cesse avec les mots et les animaux ne pouvait que conduire aux extrémités que l’on sait.

Prenez un coq, recueil de 87 pages rassemblant l’entier de la prouesse, rend compte aujourd’hui de ce que fut la longue marche extatique de l’auteur dans la fournaise de l’époque. Autour de lui le monde basculait, les couennes se déshydrataient, les cadavres tombaient, mais lui, l’esprit déjà recuit par l’inflation des degrés, ne voyait que ses ânes et ses crêtes de coq qu’il apprêtait à toutes les sauces — très souvent, d’ailleurs, sexuelles — de l’existence. À ce propos, on retiendra les sublimes 55 alexandrins lafontainesques de L’Oie, le coq et l’âne.

En fait, dans ce livre unique, dont chaque petit conte commence par ce même mantra : « Prenez un coq », tout est impensable, intelligent et radicalement poilant. Avec cet opuscule, on tient donc le produit expérimental d’un esprit littéraire accompli lorsqu’on le soumet aux excentricités du salariat conjuguées aux conséquences des températures extrêmes. Contrairement à ce que nous avons laissé entendre plus haut et qui donnait à croire que Jean-Baptiste Harang fut la 19491e victime de cet été de feu, l’auteur survécut à cette brûlante exposition. Mais pour l’avoir bien connu, nous pouvons témoigner qu’après avoir ainsi tant rôti en compagnie des coqs, plus jamais il ne fut le même.