L’Histoire, novembre 2008
Richesse des franciscains
Voici un livre surprenant : spécialiste reconnu de l’histoire intellectuelle du franciscanisme, Giacomo Todeschini dévoile, à travers les débats théologiques au sein d’un ordre religieux qui a choisi de vivre de mendicité, un pan méconnu de la préhistoire de la pensée économique.
Le livre (qui bénéficie d’une traduction sûre et fluide) commence par une histoire de l’idée de pauvreté volontaire, dans le contexte général de l’essor économique de l’Occident du xie au xiiie siècle. En suscitant le développement d’une « nouvelle richesse » (celle qui résulte du travail de l’argent, et non du labeur de la terre), celui-ci met les théologiens aux prises avec une difficulté : comment concilier les pratiques marchandes avec les desseins de Dieu ?
Les disciples de François d’Assise théorisent donc le renoncement évangélique aux biens terrestres, et, ce faisant, ils inventent une doctrine du marché. Celui-ci devient, selon Pierre de Jean Olivi, « le moyen dont disposent les laïcs de contribuer selon leurs possibilités à l’édification d’une société chrétienne ». Tel est le paradoxe décrit avec allégresse par Giacomo Todeschini : en renonçant aux biens matériels, les Franciscains ont entrepris une réflexion décisive sur la valeur de l’échange, et élaboré une conception élevée de la richesse, assimilée au bien-être collectif de la communauté civile. Dès lors que le marché et le profit œuvrent à cette richesse, ils deviennent légitimes, et justifiés par la foi.
On le voit : ce livre entre en résonance avec des débats contemporains, et notamment ceux qui tentent de dévoiler la part de croyance qui gît dans cette nouvelle théologie qu’est l’économie de marché.