L’Humanité, 31 juillet 2008, par Pierre Bergounioux

Le coq sans l’âne

Quelque 35 pièces virtuoses, parues dans la presse, réunies en volume, donnent une nouvelle dimension au symbole national. Nous devons un coq à l’auteur.

Les comptes rendus critiques de Jean-Baptiste Harang, dans Libération, les romans insolites qu’il écrit depuis une quinzaine d’années, le beau récit autobiographique publié en 2006, La Chambre de la Stella, se reconnaissent au même ton singulier, sensible et désolé, attachant et rétracté. Le style, cet art de dire, est la transcription d’une manière de voir, elle-même indissociable d’une façon d’être, que nous prenons, par la force des choses, au commencement et qui nous restera jusqu’au bout. Le style de J.-B. Harang, fait d’élan et de retenue, de sympathie et de retrait, renvoie à une expérience fondatrice, celle du désespoir. Lorsque nos aspirations spontanées, nos attentes sont invariablement contrariées, il n’est d’issue que dans le scepticisme et le désengagement. On retire sa créance à ce qui passe pour réel, important, chargé de sens. On se replie sur quelques objets périphériques ou incongrus, dans le peu qui reste de soi, sur la zone intermédiaire, inconfortable, qui sépare l’abandon de la défiance, l’affection de l’hostilité.

La forme et le fond

Le pli subjectif qu’on prend dès l’origine, sous l’empire des circonstances, nous prescrit non seulement un ton, la forme, mais encore le fond, c’est-à-dire l’horizon d’objets, le plan de réalités homogènes à notre inclination. Entre Théodore disparaît (1998) et La Chambre de la Stella, qui établira précisément ce dont sa voix porte l’écho, garde la trace, J.-B. Harang hésite une dernière fois devant les choses mêmes. Il remet à plus tard de les aborder littéralement. C’est l’été, un temps soustrait au travail, à la grisaille, la fête saisonnière dont un reflet colore les noires colonnes des journaux. J.-B. Harang s’offre à livrer, du 15 juillet au 24 août, trente-cinq variations sur le thème du coq à Libération.

Symbole héroïque

Il n’est d’objet, on le sait, que pour un sujet et de sujet qu’objectivement constitué. La création comporte trois règnes, auxquels s’ajoute le genre humain, dont les initiatives menacent désormais de destruction les espèces animales et végétales qui partageaient sa demeure, ainsi que les ressources minérales de la planète. J.-B. Harang a écarté les choses humaines, dédaigné les roches et les plantes pour jeter son dévolu sur le coq. Symbole héroïque et dérisoire, roi de la basse-cour, l’animal se présentait comme naturellement à une âme excommuniée d’emblée du plein de la vie, désabusée dès le début, meurtrie. Trente-cinq textes sur ce thème relèvent du tour de force, étant entendu que, fidèle à lui-même, à sa division intime, à sa ferveur contrariée, J.-B. Harang va tirer du mince volatile les plus grands effets. Il évoque, sans forcer, César, dans la langue de qui le remuant voisin au casque ailé et le coq sont un – Gal-lus –, Viacheslav Mikhaïlovitch Scriabine, ministre de la Défense de l’URSS sous le pseudonyme de Molotov, auquel les Finlandais dédièrent un cocktail explosif, Socrate, bien sûr, d’autres, des plus inattendus, certains sortis, à l’évidence, de l’imagination de l’auteur.

La réalité naît de l’accord des consciences. Elle est faite d’autant et plus de privations et d’interdits, d’empêchements et de pertes que d’attributs positifs et de bonheurs. Mêlés, discrètement, aux adeptes du sens commun, qui sont la majorité, des hommes qui furent des enfants malheureux pratiquent la restriction mentale. Ils voient, sentent, pensent autrement. Parfois, ils l’écrivent et on est lavé, à les lire, du poids du monde, du sérieux mortel de la vie.