Philosophie magazine, avril 2012, par Catherine Portevin
Pendant que j’y pense
Les temps électoraux peuvent bien décevoir, ils suscitent même chez les plus désabusés des démocrates quelque chose comme une impression d’ouverture. Imaginaire peut-être, mais n’est-ce pas l’imaginaire qu’il serait justement urgent d’ouvrir ? Ouvrez alors l’Appel d’air, d’Annie Le Brun, poète surréaliste et essayiste. Ce texte publié en 1988 (et réédité en poche chez Verdier) nous fait soudain ressentir combien nous manquons d’air sans plus nous en rendre compte : « Au cours de ces vingt dernières années […], constate- t-elle en préface à l’édition de 2012, rien n’est venu s’opposer véritablement à l’ordre des choses. » Son Appel d’air est un soleil noir dans les hyper-réalistes années1980 : déjà, triomphait le « trop de réalité » (décrétée telle) contre le sensible, lequel se retrouvait travesti en fausses transgressions consuméristes présentées comme œuvres d’art Annie Le Brun, elle, plaide pour une « insurrection lyrique », pour la force séditieuse du rêve. Sa couleur est le noir, qui est, comme pour Victor Hugo auquel elle consacre un essai et une exposition », la couleur de la conscience claire et du refus de l’aveuglement,« Nous n’avons que le choix du noir », affirmait le poète. Il note aussi :« Rien ne ressemble à ce qu’on nomme le hasard que ce qu’on nomme le nuage. Eh bien, les nuages sont exacts. » « Les rêves, conclut Annie Le Brun, comme les nuages sont exacts. »Vite, de l’air!