Technikart, 1er mai 2008, par Emilie Colombani
Mad Max » revu par Lutz Bassmann, un auteur qui n’existe pas. Barge et bon.
Le « post-exotisme » n’est pas une nouvelle tendance des agences de voyages. Dans le sillage de son œuvre, l’écrivain Antoine Volodine a en effet « fondé » ce drôle de courant littéraire, dont on parierait notre pige qu’il est de bout en bout constitué de ses propres avatars aux noms plus improbables les uns que les autres. Prenez ce dénommé Lutz Bassmann : sa situation civique de détenu à perpétuité et le nom à consonance « judéo-slavo-germanique » paraissent propices à toutes les mystifications.
Contacté par nos soins, son éditeur, Lionel Ruffel, nous assure que sa rencontre avec « Lutz Bassmann, a été strictement littéraire ». C’est‑à‑dire ? Il l’a découvert comme personnage, narrateur et co‑auteur du Post‑exotisme en dix leçons, leçon onze. Détail troublant : ce nom de Bassmann est parfois réapparu sous la plume d’Antoine Volodine, le porte‑parole du post-exotisme. Comme par hasard…
Tout cela peut légitimement nourrir toutes les méfiances. « Les noms ou les surnoms sont des manières commodes d’étiqueter les gens », nous avertit d’ailleurs le héros du premier volet d’Avec les moines-soldats. Il s’agit d’un certain Schwann, qui finit par avoir raison des fantômes de ses nombreuses sœurs venues hanter une vieille bicoque en bord de mer. Schwann, Brown et Monge sont des moines-soldats, fonctionnaires d’une invisible et tentaculaire organisation cherchant à arracher le monde au ravage d’un chaos grandissant. On ignore la cause de ce big bazar, mais il a quelque chose à voir avec la dissolution d’une société post-soviétique et à des cataclysmes néo-atomiques.
Sur une trame digne des sous-« Mad Max » ritals des 80’s, Lutz Bassmann parvient à camper une atmosphère inimitable, quelque part entre L’Archipel du goulag de Soljenìtsyne, La Colonie pénitentiaire de Kafka et les légendes tibétaines. Un cocktail qui sent le soufre, et où il est d’ailleurs question d’exorcismes dont on ne sait pas très bien dans quel monde ils se produisent. Embarqué dans cet univers où le néochamanisme tient lieu de vade mecum, on ne peut que s’émerveiller devant la sombre poésie qui en émane, renvoyant aux peurs ancestrales d’une humanité qui n’en finit pas de mourir.
Mais ce n’est pas tout : le mystérieux Lutz Bassmann (censé croupir en prison en ce moment) nous livre aussi un surprenant recueil de Haïkus de prison, où traîne toute une faune humaine de codétenus d’Asie centrale, tadjiks, bouriates ou autres kirghizes. Beau comme du Tarkovski.