Lire, octobre 1991, par Claude-Michel Cluny
Humiliation, douleur, bonheur triste d’être vaincu de cœur avec les vainqueurs : ce fut le destin de Vittorio Sereni (1913-1983), poète italien du Nord, dont un volume, Les Instruments humains, regroupe les poèmes écrits de 1943 à 1965. Poèmes souvent passés au tamis du temps, émondés, jusqu’à ce moment précis, mais imprévisible, où ils trouvent et leur forme, et leur place. Le même éditeur (Verdier), les mêmes traducteurs : Philippe Renard et Bernard Simeone, nous avaient déjà donné de Sereni l’admirable dernier livre, Étoile variable, point culminant dans une œuvre rare.
Dans ces pages de guerre, de captivité, et de retour, l’interrogation de Vittorio Sereni ne sépare jamais l’être de ce qui accompagne sa vie. Il « interviewe » un « suicidé » comme s’il s’asseyait avec lui dans sa tombe, parmi les objets familiers. « Les morts ce n’est pas ce que jour / après jour on gaspille, mais ces / taches d’inexistence, chaux ou cendre / prêtes à se faire mouvement, lumière. » Même si « ce que nous appelons l’âme et qui n’est / qu’un spasme de remords » paraît errer, dans les instants de doute et de déréliction, il règne chez Sereni une foi latine dans un accord de l’être, indicible en termes de logique, aux forces élémentaires, aux dons qu’apportent « les pauvres instruments humains », si humbles et fragiles qu’ils soient.