Le Monde, 1er mars 2001, par Patrick Kéchichian

Un chant inconsolé

L’Œuvre laissée seule, poème en huit chants publié en 1993, constitue une magnifique méditation métaphysique dont le motif est la mort d’un prêtre, ami du poète. « Dieu pour nous ne fut pas la moindre folie », dit le premier vers. Et le deuxième chant s’ouvre sur ce constat : « L’histoire de l’éternité n’existe pas. » Devant l’énigme d’un mystère douloureux, dans le deuil et la révolte qu’il fait naître, une parole s’élève. Un homme questionne, cherche, interpelle, refusant une consolation qui n’aurait pas le poids de la chair, la mesure du visible : « Les plus audacieux disent qu’à présent pour te rejoindre il faut perdre l’illusion de te trouver sous ton aspect terrestre, épanoui, riant… » L’âpre et fibre beauté du poème que nous fait découvrir aujourd’hui Bernard Simeone vient de cette capacité à rendre concrète, urgente, l’interrogation existentielle. Inconsolé, le chant ne s’enferme cependant pas dans le cercle du désespoir. Car celui-ci ne peut, à la fin, que laisser sans voix.

Cesare Viviani, né à Sienne en 1947, vit à Milan. Comme le précise Simeone dans une préface éclairante, il fut d’abord – le premier livre date de 1973 – proche de l’expérimentation verbale de l’avant-garde. Plus tard, l’influence de son aîné florentin Mario Luzzi orienta sa poésie vers une plus grande intériorité. Traducteur de Verlaine, auteur d’une dizaine de recueils, Viviani n’est pas éloigné du grand prosateur siennois Federigo Tozzi, auteur de l’admirable récit Le Domaine (Circé, 1994). L’Œuvre laissée seule est son premier livre traduit.