L’Humanité, 7 décembre 2006, par Alain Nicolas
Une conscience entre ordre et chaos
Sur fond de drame familial, un regard mordant sur l’Italie contemporaine.
Pour Thomas, cette petite ville de Vénétie est avant tout le champ d’un arpentage incessant. Marcher, compter les pas, noter, recompter, comparer. Une activité obsessionnelle qui pourrait tenir lieu d’alternative au départ. Des valises, adaptées à tous les climats, sont prêtes. Ou à un départ plus définitif, le suicide. Dans son enfance, il a perdu sa mère, victime d’un accident de voiture, puis, quelques mois plus tard, son père. Pour son jeune frère, c’est un abandon volontaire. Pour sa grande sœur, c’est toute une vie passée à élever ces garçons, au mépris de tout destin personnel. Du drame familial qui germe entre ces trois enfants laissés seuls dans le foutoir du monde, on ne dira rien de plus. Trevisan en scrute les conséquences, avec acuité, en montrant le lent cheminement du narrateur vers une forme de liberté. Mais, beaucoup plus qu’une intrigue psychologique, ce roman est un voyage dans la conscience de deux frères, entre ordre et chaos. Écrire, construire, mesurer, nommer le monde, des attitudes qui tiennent autant de la remise en ordre du monde que de la fuite devant le passé. Un regard acéré et pince-sans-rire sur notre société, dans ses rapports de force entre classes, dans son indifférence à ce qu’elle détruit, hommes, femmes, nature. Lutte contre le désordre, ordre et appel à la victoire finale du chaos originel se poursuivent, se combattent, et en fin de compte, s’annulent : la forêt reprendra possession du parc de la maison familiale, mais le narrateur trouvera la paix en déboisant l’Amazonie. Gagnants finals ? Notaires, banquiers… et Église. Humour à froid ou désespoir lucide ? Une œuvre originale, une nouvelle voix à découvrir.