Technikart, septembre 2010, par Julien Bisson
Les avatars de Volodine
Christopher Nolan serait-il lecteur d’Antoine Volodine ? Le projet littéraire du pape du post-exotisme n’est en tout cas pas sans rappeler l’intrigue du récent Inception : c’est un écrivain qui rêve d’un écrivain qui rêve d’un écrivain… Romancier réputé pour son goût de la clandestinité, Volodine a décidé en cette rentrée de tomber les masques et de révéler quelques unes de ses multiples identités, publiant trois nouveaux livres mais un seul sous son nom baptisé fort à propos Écrivains.
Moins roman que série de portraits, Écrivains nous présente une galaxie d’auteurs typiques de l’univers volodinien, à cent lieues des canons des Deux Magots. Terroristes flamboyants, prisonniers maltraités, réduits au silence et à l’agonie, ceux-ci tâchent d’élever leur voix au-dessus de la barbarie et de l’oubli. Ils ont pour nom Linda Woo, Maria Trois-Cent-Treize, Bruno Khatchatourian. Ils auraient aussi bien pu s’appeler Lutz Bassmann ou Manuela Draeger, si ceux-ci n’apparaissaient pas déjà aux catalogues des éditions Verdier et de L’Olivier comme membres d’une « communauté d’auteurs imaginaires ».
Avouons-le : ces deux mystérieux écrivains avaient déjà éveillé nos soupçons au cours des dernières années, notamment le premier cité, romancier prétendument letton dont on avait défendu en ces pages les Haïkus de prison. Avec Les aigles puent, il nous entraîne sur les décombres d’une ville dévastée, autrefois peuplée de résistants lumineux dont Gordon Koum, seul rescapé, évoque la mémoire.
Cette exaltation de la rébellion et du sacrifice est également au cœur du projet de Onze rêves de suie, de Manuela Draeger, qui raconte les ultimes instants oniriques d’un groupe de jeunes gauchistes piégé dans un bâtiment en flammes à l’issue de la « Bolcho Pride ». Publiés simultanément, ces trois textes […] portent en eux les germes d’un même manifeste, violent et désespéré, parfois même proche du requiem. « La parole post-exotique s’interrompra lorsque le dernier de nos écrivains s’éteindra, et personne nulle part ne s’en rendra compte », déclame ainsi l’un des nombreux membres de cette étrange communauté. Tâchons donc de lui donner tort et rendons hommage à ce diable de Volodine – qui, évidemment, ne s’appelle pas vraiment Volodine.