Télérama, 11 janvier 2012, par Nathalie Crom
Danse avec Nathan Golshem
Chaque année, Djennifer Goranitzé prend la route. À présent que l’homme qu’elle aime n’est plus de ce monde, il faut à Djennifer Goranitzé se rendre régulièrement en pèlerinage vers l’humble sépulcre – un monticule de pierres sous lequel ne repose même pas la dépouille du disparu ; à sa place, quelques os d’animaux, chèvre, chien, mouettes mêlés. Mais qu’importe le contenu du caveau, il suffit à Djennifer Goranitzé de frapper du pied sur le sol et de danser pour parler aux morts. Pour parler à Nathan Golshem, qu’elle aime par-delà la mort. Pour « être avec lui dans un même poème vivant tracé avec son corps », pour le rejoindre « à l’intérieur commun de leurs propres nuits intérieures », et poursuivre leur conversation sans fin.
Roman d’amour infiniment tendre, lumineux, construit en courts chapitres, Danse avec Nathan Golshem est une nouvelle, superbe variation romanesque signée Lutz Bassmann – un des hétéronymes d’Antoine Volodine, une des voix du chœur poignant qui s’élève de l’œuvre tout entière de cet écrivain plus que singulier, dont l’imaginaire tragique et terriblement cohérent se déploie à travers des images puissantes, porteuses d’émotions directes et intenses. Comme naguèreDes anges mineurs, signé Volodine (éd. Seuil, prix du livre Inter 2000), Danse avec Nathan Golshem, signé Bassmann, constitue une formidable porte d’entrée dans cet univers romanesque qui met en scène, dans le décor récurrent d’un monde en ruine où sévissent les exterminations et les massacres, une humanité défaite, exténuée, mais aussi fantasque, voire bouffonne – animée d’une vitalité qui défie tout ensemble le tragique, l’Histoire, la mort des idéologies et celle des dieux.