La Croix, 26 juillet 1993, par J.-M. de Montremy

La 203 de l’oncle André

Le premier texte compte à peine neuf pages. Et l’on retrouve Didier Daeninckx : non pas l’homme qui prend les faits divers dans un récit en forme de vérin, mais plutôt le poète. Certes, Daeninckx sait d’expérience que les banlieues sont souvent laides et les perspectives bouchées : banlieues des années cinquante (baraques, terrains vagues, lessiveuses) ; banlieues d’aujourd’hui (tours, béton, électroménager).

Mais il aime les gens qui viennent dans tous ces « autres lieux », ceux qui trouvent des rêves à grand orchestre dans un livre à cent sous ou des épopées dans la goualante d’une radio. Alors en neuf pages, il décrit une de ces maisons bricolées par le père de famille, une maison des années après-guerre, où chaque objet – fût-il moche et balourd – coûtait encore son prix. […]

Tout le recueil est dans la même veine : huit textes, en moins de cent pages. Pourtant, on ne lit pas vite. Car Didier Daeninckx invente pour chacun d’eux une forme dense, concentre l’émotion, casse le rythme. Ce peuvent être des collages, d’une violence contenue, comme une succession de photos – mais ces photos, jetées l’une après l’autre, racontent le destin d’un village d’Alsace où les trois guerres (1870, 1914, 1939) et l’exploitation de la potasse ont laissé beaucoup de silences, beaucoup de rancœurs, beaucoup de détresses.

Ce peuvent être des récits très simples, comme celui d’un soldat de Verdun. Il a survécu à l’enfer d’une énième attaque. Il est, temporairement, le seul survivant d’une escouade dont les membres ont réglé en plein assaut les comptes sordides qui les dressaient les uns contre les autres.

Ici donc, les objets, les maisons, les rues sont gorgés de souvenirs, de regards, d’injustices, d’envols impossibles. Les usines ferment, la classe ouvrière n’a plus d’ouvriers, Le Parti n’est qu’un parti. Mais les floués restent floués. Didier Daeninckx ne s’en accommode pas. Il s’engage. En se souvenant que cela ne dispense pas d’écrire, et d’être insoumis.