La Liberté, 9 avril 1995, par Ewi

Un fragment d’horreur taillé au burin léger.

Didier Daeninckx a le coup pour bouleverser son lecteur sans avoir l’air d’y toucher. Les Figurants commence avec une non-scène de ménage qui tape tellement sur les nerfs que dès la fin du chapitre premier, c’est tout vu : Valère va tuer sa femme et on est peut-être dans un polar humoristique.

Manifestement, Daeninckx a un projet plus pervers. Valère se contente, outre d’élire quasiment domicile au bar du coin – ce qui n’est pas très original –, de devenir un pèlerin des festivals. Et de sillonner, au gré des engagements de son ami Jérôme, une France cinéphile très ciblée, celle des multiples festivals régionaux.

Valère devient un spécialiste du cinéma marginal, et le lecteur se marre parce que la satire est plaisante. Mais Daeninckx nous attend en traître au coin d’un projecteur. Un soir, aux « États généraux du cinéma nordiste », Valère voit un fragment mystérieux : quelques séquences anonymes, d’un réalisme sidérant… Plagiat d’un maître ? Brouillon d’un génie ? Intrigué, Valère pense retrouver l’époque, l’auteur, en identifiant les acteurs. Avec des photos, il démarre une enquête qui aboutit très vite… à la nausée. Avec une simplicité, une sobriété telles qu’on sort estourbi mais incrédule. Ces 88 pages sont un coup de poing donné avec des gants, ce qui assure une longue résonance…

Des dessins de Mako parsèment l’ouvrage comme au hasard de l’inspiration, ce qui donne une présence de plus, noire à souhait, à cette évocation du cinéma des années trente… ou quarante. On ne le dira pas pour garder son effet au dénouement.