Le Quotidien jurassien, 20 mai 1995, par Josiane Bataillard

Didier Daeninckx, auteur de polars, et la passion du cinéma.

Dans le roman Les Figurants, Valère Notermans tourne le dos à « une vie entière en version ordinaire sous-titrée », sa passion du cinéma lui fait rejoindre l’Histoire. Un hommage aux cent ans du cinéma.

Valère s’ennuie, l’ingénuité complaisante d’Elvire, sa femme, ne le distrait plus. Jérôme Sisovath qui relance un cinéma de quartier l’entraîne dans cette aventure. Le cinéma ferme après quelques mois d’acharnement « cinéphilique »… Valère s’est pris de passion et progressivement s’initie à l’histoire du ciné : premiers films, premiers metteurs en scène. Il est capable à l’occasion de placer quelques réflexions dans le vent pour épater quelques figurants festivaliers, mais il est en fait un véritable amateur, en quête du film rare. Willy le chiffonnier : brocanteur le met sur une piste : une pellicule sur laquelle figurent quelques scènes d’une cruauté artistiquement maîtrisée mais dont le metteur en scène et les acteurs demeurent inconnus, même des plus férus. Valère relève le défi et trouve. Le roman compte quatre-vingt-huit pages, la révélation survient à la quarante-troisième, le mystère est levé dans les dernières pages. C’est bien ficelé. Les « figurants » deviennent les acteurs principaux d’une tragédie de l’Histoire. Valère brûle la pellicule, sacrifice ou holocauste ? Peut-être parce qu’il s’est lui-même laissé prendre au piège.

Le roman progresse tout bonnement, chronologiquement, sans se presser, et pourtant il est d’une extrême brièveté. Un mystère, une fausse piste, liés à l’histoire du cinéma, c’est simple et serré comme un expresso. C’est la fin qui surprend, qui détonne, qui grince : l’histoire est plus cruelle que la fiction !

Parvenu au terme du livre, on prend plaisir à en remonter le cours des pages. Il se lit dans les deux sens, comme un policier qui nous propulse vers la fin et comme un journal qu’on feuillette, à rebours, au hasard, d’un fait divers à l’autre. Avec Daeninckx on découvre la banlieue, la province, les brumes et les bouis-bouis, les habitués et les tenanciers du Bar des Amis, un relieur libraire… Quelques lignes et les voici, en chair et en os avec toute leur histoire et leur souffle, au quotidien. Quatre-vingt-huit pages multipliées par autant de relectures entrecoupées du plaisir de feuilleter pour retrouver les dessins de Mako, des gravures en noir et blanc, comme ces éditions de l’entre-deux-guerres du Livre moderne illustré, comme aux premiers temps du cinéma.