Marianne, 16 avril 2005, par Patrick Besson
Didier Daeninckx, simple flic
Chez Verdier, Didier Daeninckx est plus détendu que chez Gallimard. Il fait moins de littérature. Du coup, il en fait. Ce qu’il faut, ce n’est pas écrire bien, c’est écrire, et peu de gens y arrivent. Daeninckx, oui : quand il n’y pense pas. Cités perdues, le récit qui donne son titre au nouveau recueil de Didier, est une jolie saga banlieusarde. Il y a tout : une barre – d’habitation – qu’on fait exploser, des potes avinés de 421, un commissariat qui ne sent pas bon. Là où Grangé aurait fait 500 pages, Vautrin 400, Benacquista 300 et Fajardie 200, Daeninckx n’en donne que 57. Parfaites. Le paysage urbain n’est pas bâclé et aucune des nuances psychologiques des personnages n’échappe à l’auteur et donc au lecteur. La rigueur réaliste de Daeninckx, qu’il est allé chercher à la fois dans son arbre généalogique, dans ses lectures et dans sa formation marxiste. C’est le monde réel d’Aragon sans la folie d’Elsa. Il regarde froidement mais sans méchanceté l’univers industriel qui se présente à ses yeux de myope. C’est le contraire de Jean Rolin (lire Marianne, n°409) : il n’est pas fasciné par lui dans le paysage mais par le paysage sans lui. Il se concentre dans son regard et se fond dans son verbe. Ce n’est pas lui qui parle mais le texte, qui rend un son sec mais non péremptoire, le son de la bonne prose française quand elle n’est pas coquette. La banlieue comme champ de ruines. Mammouth n’a pas seulement écrasé les prix, les êtres aussi y sont passés. Les gens, comme disait Robert Hue. L’ai vu l’autre jour dans le hall de l’hôtel Raphaël. Me demande ce qu’il foutait là. Réunion avec d’autres sénateurs d’extrême gauche ? Le seul travail qu’il y a est celui des femmes enceintes. Pour la troisième ou quatrième fois. Les jeunes sont perdants, les vieux sont perdus et les autres sont perplexes. Le commissaire Drovic promène dans ce foutoir sa silhouette modeste. Il n’a aucun tic, c’est presque un miracle, des flics de TF1. Il achète des Gitanes sans filtre, alors que Navarro a depuis longtemps – son triple pontage ? – arrêté de fumer.
Évidemment, j’ai été sensible, dans Cités perdues, au fait qu’il y a plein de Serbes dont certains sont très gentils et d’autres, hélas, fort méchants. N’empêche, Dubrovnik ne s’écrit pas Dubrovnic (page 31), sinon il faudrait prononcer « Dubrovnitch ». Je ne suis pas sûr non plus de « Mozemo li jesti ? » En français : « Pouvons-nous manger ? » J’aurais plutôt dit : « Mozemo da jedemo ? » Qu’un lecteur serbe de Marianne, et je sais qu’ils sont nombreux, surtout depuis un an et demi, nous départage ! En tout cas, la shlivovitsa (et non chliwowitza, qui se prononcerait alors « chliououitza ») ne se boit jamais glacée. Ce n’est pas de la vodka. Du reste, elle devient, quelques lignes plus bas, de la vodka. Didier, la shlivovitsa est à base de prune et la vodka de patate, tout le monde sait ça, même BHL, qui ne boit ni l’une ni l’autre.
J’ai aussi beaucoup aimé la dernière nouvelle : Initiales BB. La première phrase est presque du Flaubert : « Quai du 4-Septembre, les vents de décembre ont décapité les arbres centenaires du bois de Boulogne ; le long des étangs, là où la terre gorgée d’eau ne retenait pas les ancrages, souches de chênes, saules ou pins exhibent leurs racines inutiles. » Didier pose une bonne question : pourquoi les Cocotte-Minute ont-elles disparu ? Parce que les cocottes n’ont plus une minute ! Une magnifique promenade dans l’Ouest parisien, imprégnée de nostalgie cinématographique, clôt ce petit livre excellent.