Elle, 1er février 1999, par Fabrice Gaignault
Le petit joyau de Michèle Desbordes
Un peintre de la Renaissance et sa servante réunis sous les ciels de Loire. Un chant d’amour pudique et bouleversant.
Le mérite d’un bon écrivain est de bien écrire. Mais, surtout, de ne pas trop en faire. Michèle Desbordes a publié, en douze ans, un recueil de poèmes et deux récits dont le second, sous-titré « histoire », vient de sortir. Cela s’appelle La Demande. Michèle Desbordes écrit bien et n’en fait pas trop. C’est une orfèvre qui préfère raboter que radoter. Son texte épuré à l’extrême est pourtant plein de la vie, de ses tumultes et de ses silences, de ses rictus et de ses sourires. L’histoire tient en peu de lignes, mais rendre compte de toute son épaisseur, de toute sa magie, est une autre affaire. Au XVIe siècle, sur les bords de la Loire, un vieux maître italien accompagné de quelques élèves ajoute sa pierre à l’édifice somptueux que se fait bâtir le souverain français. Ce pourrait être, et ce l’est d’une certaine façon, Léonard de Vinci et François Ier à Amboise. Leurs passes d’armes ne nous regardent pas. Michèle Desbordes préfère d’autres joutes feutrées où n’entre pas le clinquant. Dans la demeure de l’artiste, une femme âgée en robe blanche fait son entrée. C’est une servante attachée au génie, dans l’obstination muette des gestes répétés jour après jour. Peu à peu, le vieux maître sent éclore la fraternité de deux êtres que tout oppose hormis l’essentiel : l’évidence de la mort, si proche, la solitude comme une carapace sous le poids de la lassitude : « Ils étaient là rassemblés sous un même toit comme ils l’auraient été sur un bateau luttant contre une mer hostile, à se demander ensemble qui de la vie ou de la mort chaque fois l’emporterait… » Et puis, un jour, il y aura la demande, cet acte d’amour insensé, jetée par la vieille femme à l’Italien visionnaire. On ne vous en dira pas plus sur son objet. Inattendu autant que stupéfiant.
Michèle Desbordes vit seule dans une maison au bord de la Loire, avec ses ciels changeants, du bleu au gris, mais jamais fades. Cette lumière de peintre qu’elle s’emploie à traquer, à décortiquer tout au long de son récit où se succèdent des strophes comme autant de tableaux d’une exposition rêvée. Entre ombre et lumière, entre chien et loup, entre tragédie et bonheur. « Je pourrais rester des heures à regarder un coucher de soleil », lâche soudain cette gourmande de paysages et de lumière flamande. Il y a chez notre joyeuse solitaire la fascination de l’instant, l’éternité du moment emprisonné chez Vermeer. De cela et d’une visite par une journée d’hiver glaciale à Chambord, au pied du célèbre grand escalier, est né ce huis-clos ciselé où se juxtaposent deux mondes. Le beau, le lumineux, d’un côté. Le clair-obscur de ceux qui n’ont rien, de l’autre. Des cœurs simples au destin accompli avant la mort, « tous ces êtres qui naissent, meurent et passent à côté de la vie ». Cette petite vieille, c’est la Félicité de Flaubert, sans illusions, mais caressant quelque rêve secret. Michèle Desbordes avoue l’avoir portée longtemps en elle, comme on porte un enfant. « J’ai grandi en Sologne, entourée de paysannes. Ma grand-mère passait ses journées assise près de la fenêtre à contempler le paysage. » Son besoin d’écrire vient sans doute aussi de cela : le désir de retrouver les moments enfuis de l’enfance en créant un univers de silence, de solitude, de soumission à la vie et aux saisons. Michèle Desbordes effleure par les mots l’indicible pour tenter d’en percer le mystère.