La Provence, 30 janvier 2005, par Edmonde Charles-Roux

Comme une chanson triste

Un livre puissant, né d’une photo rarement publiée, représentant une femme âgée d’environ 65 ans. Elle porte une robe, un manteau et un chapeau sans âge ni couleur. Elle est assise sur une chaise, les mains croisées, docile, passive, « sans bouger ni rien dire ». Cette femme attend la visite d’un grand homme, son frère Paul. La femme assise s’appelle Camille Claudel. Elle a été une sculptrice de génie mais qui s’en souvient encore ? Elle est photographiée en 1936 dans le cadre de l’hôpital psychiatrique à Montdevergues, près d’Avignon où elle est enfermée depuis 23 ans.

À partir de cette photo, l’auteur, Michèle Desbordes, trace sous le titre La robe bleue un récit en forme de confidence où Camille apparaît comme indissociable de son frère. Elle imagine Camille se faisant faire une nouvelle robe, bleue, celle-là, et lumineuse et aussi éblouissante que les robes claires de sa jeunesse heureuse. Elle se prépare à la dernière visite de Paul, le frère aimé, « dans ses costumes élégants et coupés dans de si belles étoffes, ses costumes de consul, ses costumes d’ambassadeur », diplomate des bouts du monde, poète reconnu, grand lecteur d’évangiles et grand chrétien.

La trame du livre pourrait se résumer à une poignante chronologie. Camille Claudel est née en 1864, morte en 1943. Pour mémoire : son frère est de quelques années plus jeune qu’elle (1868-1955). La date clé de la vie de Camille est mars 1913, le jour où la mère de Camille, qui n’aime pas sa fille, demande son internement. Une mesure à laquelle aucun membre de sa famille ne s’oppose. Paul Claudel est de passage en France. Il connaît le jour et la date où sa sœur sera emmenée entre deux infirmiers mais ni lui ni aucun membre de sa famille ne veulent assister à son départ. D’abord internée à Ville-Evrard, Camille en sera évacuée pour cause de Grande Guerre en 1914 et transférée à Montdevergues. Elle n’en sortira plus.

Lorsqu’elle mourut, personne n’assista à sa mise en terre. Du reste, sa mère n’était jamais venue la voir. En 1962, lorsque le fils de Paul chercha à faire transporter les restes mortels de Camille dans le tombeau des Claudel, l’administration de l’hôpital psychiatrique fit savoir à la famille qu’il lui était impossible de retrouver la sépulture de Camille dans le cimetière.
La robe bleue est l’évocation de la photo qui n’a jamais été faite parce que lors de la dernière visite de ce frère en packard noire et rutilante, Camille portait encore et toujours la même robe, celle que lui avait adressée sa mère, la dernière année de la guerre. Ce fut le seul cadeau de cette mère dont Camille se plaignait à chacune des visites de Paul et à laquelle elle adressait des lettres, mois après mois, lui demandant « Qu’on la sortît de là, parlant souvent de cette cruauté qu’elle avait, elle, leur mère, de ne pas lui donner asile à Villeneuve où elle promettait, si elle revenait, de ne pas déranger ni causer de soucis. »

La réalité des problèmes psychiatriques de Camille ne fait nul doute mais l’abandon dont elle fut victime est sans excuse. On se l’explique mal venant d’une famille et d’un frère qui affirmaient si haut et si fort leur foi chrétienne.