Le Monde, 15 janvier 1999, par Patrick Kéchichian
Lisez sans attendre ce livre, et faites passer le mot. On voudrait susciter assez de confiance pour n’avoir pas à en dire davantage. Non du tout qu’à trop parler de La Demande on risque de dévoiler le ressort d’une intrigue palpitante : il n’y a pas d’intrigue. Simplement, la surprenante beauté de cette « histoire » […] est comme intérieure, tellement enclose dans la ligne pure du récit qu’on répugne presque à la décrire ou à la commenter du dehors. […]
Les phrases sont longues, ponctuées de virgules plus que de points, pour mieux faire éprouver l’écoulement du temps. Aucune préciosité ou joliesse de style, aucun effet extérieur. Une perspective comme absente. Une ligne d’horizon rapprochée. Une présence commune, lancinante, des êtres et des choses en deçà de cette ligne… Des modèles ? le Tolstoï des nouvelles peut-être, Pierre Michon pour le choix des vies invisibles, mais sans l’héroïcité de leurs vertus.
On lit çà et là que l’humanisme, vieille lune blafarde, a fait son temps – mais au profit de quoi ? du cynisme ? du mépris ? –, qu’il n’est plus apte, en littérature du moins, à donner du fruit. Michèle Desbordes ne cherche pas à réhabiliter cette vision de l’homme, ou à en inventer une nouvelle. Elle conte simplement son histoire où des hommes et des femmes se regardent, vivent ensemble, se parlent ou se taisent, se taisent surtout, vieillissent et meurent. Une attention, un soin pudique les font être ensemble. Et cela suffit. Passez le mot.