Livres hebdo, 8 janvier 1999, par Christine Ferrand

L’art du silence

Avec L’Habituée, son premier roman paru en 1996, Michèle Desbordes avait surpris par son habileté à transmettre le non-dit. Ici encore, le silence est au cœur du livre, mais l’habileté de l’auteur est devenue, dès ce deuxième livre, du grand art. La rumeur a d’ailleurs précédé la parution du livre. À la fin de décembre, compte tenu des articles de presse annoncés, alors que le livre ne paraît que le 15 janvier, le premier tirage du livre de 2500 exemplaires a été doublé.

Avec une maîtrise époustouflante, dans ce petit livre très dense, elle met en scène la rencontre d’un vieux maître italien venu s’exiler sur les bords de la Loire (on pense irrésistiblement à Léonard de Vinci) et d’une servante qui tient la maison où il habite. Lui discute avec ses élèves, qui l’ont suivi depuis Florence, dessine, lit, réfléchit à sa vie finissante et l’observe. Elle, également vieillissante, vaque à ses occupations, ménage, cuisine. Très peu de mots sont échangés. Mais les phrases ensorcelantes de Michèle Desbordes font surgir la douceur de ce pays traversé par le grand fleuve, les fastes d’une période amoureuse de la beauté, la dureté de la vie des moins favorisés, le froid, le travail épuisant. Bref, la Renaissance. Puis, petit à petit, au gré des courts chapitres juxtaposés, l’émotion surgit tandis que se noue lentement une relation primordiale, bouleversante, entre le peintre, qui sait qu’il mourra ici, et la femme, révélée par le regard de cet homme.

À mille lieux des romans à la mode, l’écriture hautement tenue de Michèle Desbordes, par ailleurs directrice de la bibliothèque universitaire d’Orléans, emprisonne le lecteur tenu en haleine par un récit de plus en plus aiguisé, jusqu’à ce que soit formulée « la demande », qui donne son titre au livre. Mais, c’est avant tout l’évocation de la douloureuse conscience du temps qui s’écoule et du travail intérieur qui l’accompagne, que Michèle Desbordes excelle à rendre.