Le Magazine littéraire, septembre 2006, par Aliette Armel
La lumière est celle des bords de Loire où l’auteur avait déjà situé La Demande, et le temps, un présent englobant un passé que la narratrice ne se résout pas à renvoyer vers l’imparfait. Le conditionnel fait parfois planer un doute sur l’exactitude des souvenirs que « je », « vous », « elle » tentent de sortir de l’ombre : « Ne pas avoir à dire “je” ni davantage “elle”, mais autre chose, un mot, un pronom qui cachant et dévoilant, donnant et reprenant dirait ce que nous sommes et la manière dont nous l’entendons. » S’exprimant tour à tour à la première, à la deuxième ou troisième personne, une femme d’un certain âge, qui sait qu’elle va mourir, tente de retrouver les sensations de l’enfant qu’elle a été, dans une maison dont le jardin descend vers la rivière. Parfois, le temps s’immobilise, tout baigne dans une grande douceur juste avant que l’histoire ne bascule, à plusieurs reprises, dans le drame.
La magie des mots préserve le mystère et l’identité des protagonistes reste souvent légèrement floue. Les faits sont énoncés – l’abus sexuel, la mort accidentelle du père, la trahison de la mère, la cruauté des abandons et des départs – mais la poésie du langage et l’intensité sensuelle des descriptions recouvrent les événements d’un voile, cherchent à atteindre leur vérité tout en sauvegardant la pudeur, révèlent la souffrance, la peur et la solitude tout en préservant le partage avec le lecteur, puisqu’avec les proches, ce partage ne se concrétise plus, même à travers les choses les plus simples comme les repas. C’est sur ce constat que s’achève ce livre constamment tendu vers la beauté, alors que la mort plane : son auteur a disparu peu après son achèvement.