Paris-Berlin, avril 2014, par Moritz Pfeifer

Dans la nuit du 22 mars 1825, un incendie éclate au théâtre de Weimar. Le lendemain, on avertit Goethe qui a fait construire le théâtre et l’a dirigé durant trente ans. Le poète vit la nouvelle de cet incendie comme la perte d’« un être cher ». La catastrophe annoncerait-elle aussi sa propre perte ? En 1825, Goethe a 76 ans. Le destin veut que l’écrivain meurt sept ans plus tard, un 22 mars également… Le deuil de Goethe est de courte durée car celui-ci évite tout ce qui peut se rapporter à la mort (jusqu’à ne pas se présenter à l’enterrement de son ami Schiller). « Il faut méditer sur la vie, non sur la mort », confie-t-il à son ami et poète, Johann Peter Eckermann. Deux jours plus tard, ce dernier le retrouve à son bureau en train de dessiner des croquis afin d’ériger une nouvelle scène, fidèle à ses idées utopiques sur le théâtre. « C’est donc au fond une très bonne chose que le théâtre ait brûlé », conclut-il. Dans son nouveau roman, Jean-Yves Masson révèle une facette méconnue du poète weimarien, celle d’un homme dont le besoin de créer est intimement lié à une crainte de tout ce qui est périssable, fugace, mortel. Ce n’est donc pas par hasard si Goethe rêve d’une représentation de la Flûte enchantée, œuvre où les forces destructrices sont vaincues par l’amour et la raison. Dans une suite de l’opéra de Mozart, Goethe rendit cet aspect du libretto encore plus explicite, en construisant une narration dans laquelle Tamino et Pamina devaient ressusciter des enfers leur enfant mort. Pourquoi un roman sur Goethe aujourd’hui ? Dans une postface, l’auteur cite un passage de Walter Benjamin, dans lequel celui-ci réfléchit sur les liens mystérieux qui unissent le passé et le présent. Jean-Yves Masson aimerait-il assister à un « incendie » du paysage littéraire contemporain pour pouvoir alors le reconstruire ? Quelles que soient ses motivations, le roman n’arrive que rarement à pénétrer la problématique qu’il s’est posée. Walter Benjamin, dans Allemands, montrait l’inventivité dont faisait preuve Goethe dans ses lettres pour trouver des euphémismes au mot « mort ». Dommage que cette psychologie du poète allemand, quoique mentionnée, perde sa complexité dans des dialogues bavards et sans profondeur.