Hippocampe, 25 mars 2013, par David Collin

Dans un monde saturé d’images, de sons et de musiques, d’écrans plasmas publicitaires géants, dans un monde où nous produisons nous-mêmes un nombre incalculable d’images que nous n’avons pas le temps d’archiver, mais qui nous rassurent quand à l’existence d’une réalité que nous ne prenons pas le temps de voir, nous sommes à tout moment sollicités par l’esthétique pauvre que nous impose le commerce et la diffusion de plus en plus rapide d’informations de toutes sortes que nous ne digérons pas. Par cette esthétique et ce flux d’informations que nous reproduisons nous-mêmes et croyons partager à tout moment, la vie esthétique nous cerne. Si l’on définit avec Laurent Jenny cette vie comme étant celle des sensations que nous éprouvons, et que notre expérience esthétique nous permet de mieux cerner, d’interpréter, nous sommes reliés avec ce que nous voyons, et percevons la vie à partir de notre expérience sensible des œuvres d’art, mais aussi de ces œuvres indéfinissables qu’on rassemblera sous le terme d’ambiances, comprenant des images et des bruits. La vie esthétique, nous dit Jenny, n’est plus le seul fait des esthètes. Mais les épiphanies, que procure la vie esthétique, demandent tout de même une certaine attention, un regard et une ouïe cultivés par la connaissance des œuvres. Relisons Proust. Il ne s’agit plus seulement d’être entouré par cette esthétique qui « design » la moindre parcelle de notre environnement, mais de cultiver nos facultés de perceptions. De vivre ces moments poétiques, qui selon Valéry, dépassent de loin la seule poésie. Pour cela : arrêter le temps, autrement dit savoir sortir du flux pour capter cet instant, ce choc à peine entrevu qui nous fait nous retourner sur un moment unique, d’une intensité remarquable, de ces moments ultrapoétiques disait Baudelaire, puis Walter Benjamin, de ces expériences résonnantes qu’il faut savoir retenir. Dans son livre, Laurent Jenny alterne réflexions esthétiques et expériences personnelles, comme ce raga indien qui accompagne miraculeusement une fièvre, et donne ainsi une forme esthétique à la maladie. La dépasse.