Sud-Ouest, 6 juillet 2014, par Yves Harté
Dure enfance de la gloire
José Miguel Arroyo, « Joselito ». Une autobiographie à couper le souffle, dans laquelle le torero raconte la face sombre de l’Espagne des années 1980-1990.
Il n’y eut véritablement que deux Joselito dans l’histoire de la tauromachie. Le premier représentait l’essence même du toreo. Il fut tué par un petit toro borgne en 1920, à Talavera de la Reina, alors qu’on le croyait immortel, et entra au fronton du Panthéon des toreros. L’autre est José Miguel Arroyo, petit chat écorché que l’on vit à ses débuts, sorti de l’école taurine, mal peigné, renfermé, méfiant, mais terrible de courage devant les becerros qu’il affrontait, à la fin des années 1980. On comprendra donc combien ce titre, Joselito, le vrai, vaut son pesant d’assurance et traduit la véritable personnalité de son auteur dans une autobiographie époustouflante.
Petits sachets de coke
Joselito Arroyo s’y livre sans fard. Ce qu’il raconte est terrible. Moins pour ce que l’on connaît déjà. La dureté du monde taurin, les chausse-trapes et les jalousies, les coups de poignard dans le dos, les faux amis qui adulent avant de se détourner, un soir de défaite. Mais davantage pour la première moitié de ce livre, qui est un portrait à couper le souffle du Madrid de la Movida, vu et écrit du côté de la misère.
José Arroyo était le fils d’un flamboyant bon à rien et d’une mère qui l’a abandonné. À 3 ans, le père l’amena avec lui vivre au cœur même de Madrid et, à mesure que l’on poursuit la lecture, on comprend que la première phrase n’a rien d’une rodomontade. « Si je n’avais pas été torero, je serais mort d’une overdose. »
Car véritablement Joselito a été sauvé par les toros, ou plus exactement par l’école taurine de Madrid, où il alla un peu par hasard, poussé par on ne sait quelle intuition. Le père, « un golfo », un voyou sympathique, vendait de la dope. À 9 ans, Joselito savait parfaitement confectionner les petites poches et placer les doses de coke selon les grammes indiqués. Il savait parfaitement à qui livrer les barres de « chocolate » et la valeur qu’il en retirait.
Oliver Twist madrilène
Le miracle a voulu qu’un jour, à Las Ventas, fasciné par ce monde de lumière, de soleil, dont il ne connaissait pas encore la face noire, il choisisse d’y entrer. Et, en y entrant, d’en accepter la discipline. Il y rencontra Martin Arranz. Ce fut son mentor, son guide. Et, un jour, devint son père adoptif.
On ignorait qu’il existait des Oliver Twist madrilènes, et surtout rien n’aurait pu, sans ce livre, nous mettre en face du côté sombre de l’Espagne des années 1990, raconté par un des plus grands toreros de la fin du siècle.