Tatiana Lechtchenko-Soukhomlina
« Que j’aimais t’entendre raconter… », dit une vieille romance russe. Ce compliment est rare de nos jours, mais je le décernerais volontiers à Tatiana Ivanovna pour la beauté de sa conversation. De toute l’ardeur de son âme elle sait animer les profondes, les chaudes résonances de la langue russe.
La famille Lechtchenko vécut à Moscou et à Piatigorsk. La mère, Elizaveta Nicolaevna, appartenait à la noblesse de souche de Kostroma. Elle fut pianiste-concertiste puis donna des cours. Le père, Ivan Vassilievitch Lechtchenko, d’origine cosaque, fut élève du botanicien Timiriazev, lauréat de l’académie d’agronomie Petrovski ; il jouait du violon et de la guitare. L’oncle, Vladimir Andreevitch Stelkov, physicien-mathématicien, membre de l’Académie, avait une voix magnifique.
De 1924 à 1935 Tatiana Ivanovna habite à l’étranger, termine l’école de journalistes de l’université de Columbia. En 1929 elle est reçue à l’Union américaine des acteurs professionnels, joue le répertoire contemporain dans les théâtres de New York. Ensuite Paris, Palma de Majorque, Londres. En 1935 elle rentre à Moscou avec son mari, le sculpteur Dmitri Tsapline, et leur petite fille.
Pendant les années de guerre Tatiana Ivanovna chante dans les hôpitaux de Novossibirsk et de Barnaoul en s’accompagnant de sa guitare. En 1943 ont lieu à Moscou ses premiers concerts en soliste.
En 1947 l’arrestation, la prison, Vorkouta… Après sa réhabilitation en 1956, elle rentre à Moscou où elle habite aujourd’hui.
Toute sa vie Tatiana Ivanovna écrira des poésies. Elle traduit également l’anglais et le français. Sa traduction de La Femme en blanc de Wilkie Collins a connu plusieurs rééditions. Celle du Président devait marquer le début de son amitié avec Georges Simenon. Elle a toujours mené une vie trépidante, et aujourd’hui rien n’a changé. Ses récits autobiographiques sont en cours de parution. On la voit à la télévision, on l’entend à la radio, elle raconte ses souvenirs lors de soirées publiques. Mais avant tout elle chante.
De retour à Moscou après les camps, Tatiana Ivanovna ne chantait en s’accompagnant à la guitare que chez ses amis. Il ne s’agissait pas de divertissements privés, mais de concerts à part entière, exécutés dans les seules conditions alors possibles pour un travail artistique dont jamais Tatiana Ivanovna n’a trahi les règles.
Aujourd’hui les concerts publics lui sont ouverts, et sa réputation se confirme. Deux disques ont paru. Son répertoire est large : romances, chansons, et aussi ses propres compositions.
L’autre jour j’arrive chez elle pour répéter.
« Serioja, me dit-elle, je pars. Je vais jouer dans un film. Je serai une reine de France. »
(Sergueï Tchesnokov, guitariste)