Midi libre, 24 octobre 2014, par René Ferrando

Didier Daeninckx ausculte les municipales à Béziers

Pour son dernier ouvrage, Retour à Béziers, l’écrivain s’est immergé en ville et analyse le rapport au politique.

Dans Retour à Béziers, Didier Daeninckx dresse un portrait, sans concession, de la ville : « Je me suis enfoncée dans le réseau des voies médiévales par la rue des Balances bordée d’hôtels particuliers. La majesté des palais comme celui de Sarret […] contrastait avec l’enfilade de commerces fermés, de vitrines passées au blanc d’Espagne, de devantures défraîchies. […] Même ambiance aux alentours de la mairie avec son lot de pizzerias et de boulangeries en déshérence. […] Plus j’approchais des halles, et plus mon regard accrochait les traces du désastre. Pas un passage qui ne recèle deux ou trois boutiques moribondes, alors que me revenaient les images d’hier quand une foule avide se pressait sur les trottoirs et que le moindre espace donnant sur la chaussée regorgeait de marchandises. »

Le nouvel ouvrage de Daeninckx invite le lecteur à suivre Houria. À 65 ans et en raison d’une retraite trop faible, elle est obligée de quitter Paris pour revenir vivre à Béziers où elle a vu le jour. Nous sommes en mars 2014 et la retraitée retrouve une ville sinistrée, commercialement, architecturalement, dans tous les domaines. « Elle découvre les vautours qui planent au-dessus de la ville. Elle comprend que rien n’est plus comme avant… », précise Didier Daeninckx.

L’auteur s’est immergé dans Béziers, trois semaines durant (lire ci-dessous), suivant au plus près l’ombre de Houria, s’imprégnant de l’atmosphère de la cité, alors que les thématiques du Front national y trouvent un écho amplifié. Robert Ménard brigue la mairie encore tenue par Raymond Couderc. Les candidats à l’hôtel de ville battent campagne. L’écrivain observe, jauge, mesure le poids des mots prononcés et des actes. Il livre finalement une analyse de notre rapport au politique.

Mais Retour à Béziers va beaucoup plus loin. Il s’inscrit au sein d’un projet transmédia plus vaste (www.lapprimerie.com). Celui-ci regroupe Place Publique, le documentaire de François Rabaté pour France 3 et La Chaîne parlementaire, le reportage du photographe montpelliérain Sébastien Calvet et le récit de Didier Daeninckx. « J’ai croisé Sébastien Calvet à plusieurs reprises, explique l’écrivain. Mais nous ne parlions pas du travail en cours. Chacun suivait son chemin, ses fantômes. Chacun imaginait ce que pourrait être cette ville si le message de ceux qui l’ont aimé à en mourir était encore audible ». Une expérience unique, un nouveau regard sur l’univers politique.

 

« Une ville passionnante saisie par le désespoir »
Interview : Daeninckx n’est pas tendre avec les politiques biterrois.

 Comment vous y êtes-vous pris pour rédiger Retour à Béziers ?

Je me suis installé, en mars dernier, dans un hôtel du centre-ville, face au Plateau des Poètes, pendant deux semaines, et j’ai sillonné Béziers à pied, jour et nuit, rue par rue, en faisant des centaines de photos. Ce qui m’a permis de nouer nombre de conversations avec des gens de tous horizons. J’ai joué le rôle dévolu à mon héroïne en cherchant un appartement à acheter dans les agences des allées Paul-Riquet. J’ai écouté les orateurs dans les meetings de la campagne électorale, discuté avec les distributeurs de tracts, traîné à la Devèze, participé à des fêtes comme celle organisée par la Cimade en solidarité avec les sans avenir fixe… Puis j’ai compulsé les archives du Midi Libre à la médiathèque pour retrouver un peu de l’ambiance animée de la ville des années 60 et 70… Peu à peu la figure de Houria s’est imposée et je lui ai construit un passé d’adolescente à cette époque. Un passé qui entre en collision violente avec une ville passionnante saisie par le désespoir.

Avez-vous été surpris par l’élection de Robert Ménard ?

Après trois ou quatre jours de rencontres impromptues, j’ai pris conscience du mouvement puissant de rejet de l’équipe en place dans la population. Et des passerelles idéologiques nombreuses que la droite biterroise avait jetées vers la nébuleuse frontiste. L’hommage aux tueurs de l’OAS, avec Ménard et Aboud au coude à coude, vaut pour confirmation. Et il m’a suffi de me rendre à un seul meeting du candidat socialiste pour constater qu’il épargnait celui qui était devenu le favori du scrutin même si, alors, les sondages le donnaient distancé par l’UMP.

Tout se mettait en place pour ouvrir un boulevard à la liste de la droite intégriste.

Est-ce que vous connaissiez l’homme auparavant ? Que pensez-vous du soutien que le Front national lui a apporté ?

J’avais croisé Ménard à l’époque de RSF et constaté, rapidement, qu’il fréquentait l’arrière boutique du Front national. Il m’avait même proposé un travail journalistique commun avec
son ami Dieudonné. Puis rapidement, il est devenu la caution d’une monarchie du Golfe, le Qatar.

Intronisé Monsieur Droits de l’Homme dans un pays où des centaines de milliers de travailleurs immigrés subissent des conditions proches de l’esclavage. Robert Ménard n’était pas seulement soutenu par le Front national mais également par des gens que Marine Le Pen prend soin de laisser dans l’ombre, dans la coulisse. Ces Identitaires peuplent son cabinet de combat, et certaines de leurs positions païennes commencent à poser quelques problèmes à l’intégrisme catholique du couple Ménard.

Selon vous, la banalisation des idées du FN sont-elles un danger pour la France ?

Le message principal du Front national, c’est le repli sur soi alors que l’avenir du monde est  ans le “tous ensemble”. Mais le pire, pour moi, réside dans l’outrage que les gens de Béziers infligent à leur propre histoire. Plus de mille à applaudir Ménard et Zemmour pour qui Vichy a sauvé les juifs de France. Et personne pour faire résonner les noms de Maurice Grundmann, arrêté en 1943 au Café du Commerce à Béziers. Ceux d’Élie Robert Béhar, de Bruno Molinari, de Marius Abbal, victimes des nazis et de leurs complices locaux. Des dizaines d’autres encore, absents des mémoires. On a laissé ici, dans la ville natale de Jean Moulin, cracher sur la tombe des martyrs.