Télérama, 5 novembre 2014, par Marine Landrot
L’éditeur prévient à raison qu’après Tchekhov et Boulgakov, il faut ajouter un troisième nom à la liste des grands écrivains médecins que la Russie a enfantés, celui d’Ossipov, qui prend ici le pouls de son pays, exsangue et increvable, dans une série de nouvelles inspirées de sa propre expérience de cardiologue. On est loin du reportage, très près de la feuille de soins. Oui, Maxime Ossipov (né en 1963) est un auteur qui prend soin des autres, soin des mots, soin de trouver l’image juste pour chanter l’intacte intensité des émotions dans le chaos postsoviétique. Parfois au bord de la spasmophilie, sa langue éructe, étouffe, s’étrangle, et puis, soudain, le calme, la sagesse, la limpidité.
Très différentes dans leurs thèmes (le monde des échecs, le trafic d’organes, l’émigration aux Etats-Unis, le manque de moyens des hôpitaux russes de province, la prolifération des vocations religieuses à la chute du communisme), ses nouvelles abritent des personnages d’une profonde sensibilité, hantés par la mort qui peut surgir à n’importe quel moment, dans ces terres dangereusement bouleversées. Tous manquent de confiance en eux. Une petite fille n’arrive pas à dormir à cause d’un problème de calcul à faire pour le lendemain, où il est question d’une chenille tombée au fond d’un puits. Un géologue devenu pope a peur de mourir après l’agonie de son chien… Et pourtant, toujours revient en sourdine le cri d’espoir de cette fille, lancé à sa mère qui croit avoir tout perdu, dans La Cerisaie : « Ne pleure pas… Il te reste la vie devant toi… » Un souffle puissant parcourt l’échine de ce livre loin des clichés, au plus près de la richesse intime des êtres, drôle et déchirant.