La Marseillaise, 5 avril 2015, par Anne-Marie Mitchell

L’impossible deuil

Opposant inconditionnel de l’extrême droite autrichienne, Winkler rend un saisissant hommage à sa mère.

Né en 1953 à Paternion en Carinthie, Joseph Winkler – qui se définit comme un éternel enfant de chœur – est l’un des grands écrivains de l’Autriche contemporaine. Si Requiem pour un père (Verdier, 2012) réconciliait un fils avec son géniteur (que la vie n’avait en rien ménagé), Mère et le crayon est le témoignage d’un respect admiratif envers le Malheur indifférent de Peter Handke (écrit après le suicide de sa mère), l’autobiographie Adieux aux parents de Peter Weiss, Kleist, Mousse, Faisans de la poétesse Ilse Aichinger. C’est surtout l’impossible deuil d’un gosse de soixante ans qui avait très tôt nourri l’espoir de partager le cercueil de sa mère. D’où la mort qui se plaît à s’enfouir au plus profond de la mémoire avec son cortège de soldats tombés au front pour ne pas s’être méfiés du « diable en l’homme », de dalles funéraires, de couronnes mortuaires, de Mercedes noires conduites par les ordonnateurs des pompes funèbres, de rosaires à perles noires, d’éoliennes coupant « le cou au vent » et d’innocents hérissons écrasés, la nuit, sur les routes.

Les images religieuses ne sont point absentes non plus, telle La Vierge à la chaise de Raphaël, accrochée au-dessus du lit conjugal de ses parents. Le catholicisme fervent, le mutisme imposé par la mort aux vivants, les traditions rurales, le dur milieu patriarcal, et les failles tenues secrètes, étant les thèmes de prédilection de Winkler. « Après la mort brutale des trois fils adultes à la guerre, la famille devint parfaitement silencieuse, la ferme de ma mère fut une des fermes les plus silencieuses de toute la vallée de la Drave, plus personne ne prononça la moindre parole, deux décennies durant, on ne se racontait plus d’histoires, il n’y avait plus rien à raconter. » Aussi l’écrivain décide-t-il de prendre le « crayon » et de sortir les mots de l’oubli. Un récit d’une rare beauté (conté avec un réel sentiment poétique), dont l’écriture est un cri qui a du mal à se laisser étouffer, et la lecture un recueillement – tant l’émotion la plus intense se dégage de cet hommage à la mère disparue. Nous ne pouvons que signaler ce livre comme l’un des plus prenants de l’heure actuelle. De la haute littérature.