La Liberté, 9 mai 2015, par Antoine Vuilleumier
La mort, l’amour et le civet de lièvre
Dans cet excellent recueil de nouvelles, la mort est partout, jusque dans le titre (Le Jardinier des morts). Cette mort « tragique, non parce qu’elle fait souffrir, mais parce qu’elle introduit dans le monde quelque chose d’irréversible ». A travers elle, Alain Lercher interroge la condition humaine, sans pourtant s’interdire la tendresse ou le droit au bonheur.
Perçue comme une perte, thème majeur du livre, la mort est toujours saisie de l’extérieur, par le prisme de la subjectivité des narrateurs – à moins qu’il ne s’agisse des avatars d’une seule et même personne ? Ces narrateurs ont hérité de Proust une perception toute subjective de la réalité, et donc souvent faussée. Les personnages qu’ils convoquent semblent parfois n’exister que dans leur regard, leur mémoire et peut-être plus encore leur imagination. Ainsi des Nymphes de quartier, ces nouvelles jeunes filles en fleur.
Proustienne dans ses thèmes, l’écriture d’Alain Lercher, directe et sobre, sait aussi suivre les détours de la mémoire, de la pensée, sans jamais tomber dans la digression, préservant ainsi la concision qu’exige la nouvelle. L’écriture se fait aussi parfois borgésienne. En attestent le texte fantôme du Roman d’apprentissage, la porosité de la frontière entre réalité et fiction, et le plaisir facétieux du conteur à faire apparaître Borges (Les Voleurs).
C’est peut-être dans ce plaisir de la narration, et aussi dans la dégustation du civet de lièvre (Trois jours avec un lièvre), que réside et résiste le bonheur, malgré le tragique de la condition humaine. Au final, Alain Lercher signe une vraie œuvre littéraire, qui s’approprie sans vanité les grands auteurs (Proust, Borges, Nerval) pour proposer ses propres réflexions, servies par une écriture aussi sobre qu’émouvante.