Philosophie magazine, 1er juillet 2015, par Catherine Portevin

Le livre tient dans la main et l’on part en vacances avec cette poignée de mains.

C’est précisément pour ces entre-temps incertains qu’il a été écrit : l’historien Patrick Boucheron et son ami l’écrivain Mathieu Riboulet ont composé à deux voix mêlées ces quelques pages précieuses (Prendre dates) peu après les journées sanglantes de janvier 2015 à Paris, dans ce moment tendu « entre la stupéfaction de l’événement et le recul de l’histoire ». Quand on ne peut ni parler sans craindre de dire n’importe quoi, ni se taire sans risquer d’accélérer l’oubli, il faut juste essayer d’être juste, au plus près de « ce qui a eu lieu ». Que peut l’historien (ou l’écrivain, ou le philosophe) face à l’événement qui surgit ? Le creuser comme événement. Consigner l’écheveau de sensations, pensées, savoirs, opinions, peurs, colères, questions, images, souvenirs, histoire. Le récit ne cher­che pas à avoir raison, juste à nommer : guerre civile, violence politique, Vichy et l’Algérie, les fantômes français, juif, démocratie, Lumières, république, liberté… Il fait ce qu’un récit peut faire de mieux : s’occuper des morts et calmer les vivants. Et donc, « prendre dates » : 6-14 janvier ; le 6 parce qu’il y a un « avant » où déjà « ça n’allait pas très bien », le 14, jour de la parution du premier numéro de Charlie hebdo « après », parce que les divisions ont repris et que personne ne sait déjà plus dire à quoi nous tenons vraiment – ni le « quoi », ni qui est le « nous », ni ce que c’est qu’y « tenir ».

Reste alors à tenir bien serré ce petit livre dans sa main et à le lire lentement.