Les Lettres françaises, 9 juillet 2015, par Anaïs Heluin

Peste italienne

Cocaïnomane bodybuildé, homosexuel aux ambitions cinématographiques régulièrement déçues et prostitué intermittent, Marcello est une des célébrités de l’escalier A d’un immeuble de la via Vermeer. Lequel, peu importe. Dans la borgata – faubourg de la ville de Rome – où le romancier italien Walter Siti situe La Contagion, tous les HLM se ressemblent. « Au-delà du périphérique, si loin du centre de Rome que les taxis vous soumettent à un interrogatoire en règle avant de venir vous chercher », ce paysage de béton borne l’horizon de ses habitants. Il les façonne à son gré, tout en débauches et en maladies mais pleins d’une énergie qui fait d’eux des sortes de phénix urbains. Des monstres anonymes jamais résignés à ce qui les attend tous : leur disparition, programmée par des conseillers municipaux peu sensibles au charme brut des borgatari.

Comme dans Leçons de nu, son premier roman traduit en français et publié chez Verdier en 2012, Walter Siti donne la parole à son double. Vieux professeur obèse qui s’est installé en borgata et s’est mis à la drogue par amour pour Marcello, celui-ci a tendance à disparaître derrière les personnages dont il décrit le quotidien de dépravation et d’innocence mêlées. Mais régulièrement, il rappelle sa fonction de narrateur. Au contact des habitants de l’escalier A, le professeur s’est transformé. En s’éloignant de son milieu d’origine, il n’a pourtant jamais tout à fait intégré le monde des borgatari qui « donnent l’impression de toujours jouer le tout pour le tout dans les dix minutes qui suivent, et c’est pour ça justement qu’ils font semblant de n’en avoir rien à cirer de rien ».

Lorsqu’il a la force de se détacher de cette logique de l’instant, le narrateur donne à sa chronique foutraque l’allure d’un reportage ou d’un documentaire ethnologique. L’écriture rationnelle, purement informative de ces passages – au milieu du roman, le plus long relate l’histoire des borgatari depuis leur apparition sous le fascisme jusqu’à leur dissolution récente –, contraste avec la polyphonie échevelée du reste de La Contagion. Car dans ce roman de Walter Siti, chaque habitant de l’escalier A a son mot à dire. Tantôt mises entre guillemets pour illustrer les propos du narrateur, tantôt mêlées au récit central, des expressions hautes en couleur traduites avec talent par Françoise Antoine participent d’un baroque accueillant à toutes les bizarreries physiques, comportementales et langagières.

S’ils en avaient eu la force, les personnages de Walter Siti auraient été plus sadiens. Mais la coke épuise les plus libidineux des hommes. Marcello et compagnie ressemblent alors davantage à des malades qu’à des stars du porno. Leur force : leur capacité à contaminer qui se risque à les approcher de trop près. Mais cet avantage dont témoigne l’hybridité du roman est aussi une faiblesse. En inoculant leurs vices, les borgatari se laissent influencer par leurs victimes. La volonté politique de supprimer les borgatari ne trouve alors pas de résistance suffisante ; les habitants de l’escalier A se renouvellent, et l’extravagance bat en retraite.