Le Chirurgien-Dentiste de France, 10 décembre 2015, par Stéphane Guillaume

Un sauvage dans la ville

Dans Cannibale, Gocéné, un jeune kanak de 18 ans, est arraché à sa terre de Nouvelle-Calédonie pour être déporté à Paris. Il y  est exhibé dans une cage avec les siens, lors de la grande exposition coloniale de 1931. Il s’en évadera pour essayer de retrouver, dans le Paris des années 30, celle qu’aime, Minoé. Enlevée en même temps que lui, elle doit être envoyée dans un cirque en Allemagne avec une grande partie de ses compatriotes.

Le Retour d’Ataï raconte le dernier voyage de Gocéné, vieillard, dans la Capitale du début du XXIe siècle. Pour honorer une promesse faite des années auparavant, il part à la recherche des restes d’un ancien grand chef kanak, Ataï, exécuté lors de la colonisation de le l’île par la France.

Deux récits inspirés par des faits réels, deux époques mais un même voyageur dans les mêmes lieux, Paris et la Nouvelle-Calédonie. Au-delà des déambulations de Gocéné, c’est en creux les drames vécus par le peuple kanak que nous conte l’auteur. On devine la violence de la colonisation à la fin de XIXe siècle ou celle, plus récente, des révoltes kanaks des années 80. C’est aussi un cruel aperçu du regard que porte l’homme sur les « sauvages » des colonies : celui des Français de l’entre-deux-guerres ou celui de nos contemporains, qui n’est, malgré les apparences, pas toujours si éloigné…

Didier Daeninckx est un écrivain prolifique et engagé, plusieurs fois récompensé (grand prix de la littérature policière, prix Goncourt de la nouvelle…). Il offre ici une promenade au travers de Paris, ville d’ombres et de lumières, et une plongée au cœur des massifs néo-calédoniens. À travers ces voyages dans le temps et dans l’espace s’opère aussi une belle réflexion sur la tolérance. Pourtant, nul didactisme ni discours moralisateur dans ces deux courts romans. Le ton y est souvent léger, non dénué d’humour comme lorsque Gocéné découvre le métro, et l’écriture vive et coulante malgré la cruauté sous-jacente des propos : « Tu vois, on fait des progrès : pour lui nous ne sommes pas des cannibales mais seulement des chimpanzés, des mangeurs de cacahuètes ». Une agréable mais nécessaire piqûre de rappel.