Études, décembre 2015, par Agnès Mannooretonil

Récit humble de trois « traversées » de France et d’Espagne, animé par un dialogue de soi avec soi courageux mais sans rudesse, qui accueille la boue, boue des chemins ou argile humaine, sans vouloir à toute force la former et la durcir. Colette Mazabrard marche, simplement, le long des champs et des chemins du Pas-de-Calais, des Ardennes, des Vosges, de villages en cimetières de la Grande Guerre, des forêts et leurs nocturnes habitants aux cafés et leur foule pâle et pitoyable. De Boulogne-sur-Mer à Toul, elle ajuste son regard à des territoires réels dont le relief, au lieu d’être pittoresque, peut vous tendre des embuscades de tristesse. Marcher, ce n’est pas cette grande liberté que l’on imagine, mais plutôt : s’attacher à ne pas écraser les escargots ni les fourmis, faire sécher ses chaussettes, se mettre à l’abri pour la nuit, contre le vent et la pluie (cette « mousson froide »), s’accrocher comme à un phare aux herbes, aux champignons, aux petites bêtes dont la liste changeante indique la progressive transformation du paysage de France. Marchant, elle ne se quitte jamais, dans une langue « à ras de terre », fidèle à l’expérience humble de la marche et au plus près de sa boue intérieure – la douleur d’une séparation récente, la jalousie, l’interrogation sur le sens de la vie – que chaque pas remue. La troisième traversée laisse loin la boue du nord pour la poussière du Camino, où se côtoient tant de cheminements divers (« Pour toi le but est de faire chemin, d’être en chemin, d’être chemin »). Alors le monologue se fait plus vibrant, plus inquiet : « Qu’est-ce qui justifie sa vie ? Qu’as-tu donné ? », questions que le lecteur fait siennes avec une gratitude mêlée de souci.