Le Monde, 17 décembre 2015, par Avril Ventura

Vacuité de la mémoire

Si le premier roman de Christophe Manon a des allures de long poème en prose, c’est que la poésie a longtemps été la forme de prédilection de l’auteur, et qu’elle vient parfaitement servir le projet du texte : rendre compte du flux incertain de la mémoire, et à travers lui, du flux, tout aussi incertain, d’une existence. Mêlant souvenirs d’enfance, de nuits d’ivresse ou des premières confrontations avec la mort, l’auteur égraine une succession de scènes fondatrices qui semblent chacune rappeler au narrateur la vacuité de son humaine condition, mais sont aussi ponctuées de moments de grâce, « extrêmes et lumineuses » – des scènes de sexe, le plus souvent. Déroulant son récit dans un seul souffle, porté par un style puissant et imagé, l’écrivain se pose en archéologue de la mémoire et entreprend d’en fouiller les strates infinies. Dans cet éclatement résident à la fois la réussite et la limite du texte : car si le romancier prend parfois le risque de nous faire perdre le fil, c’est parce qu’il semble avoir choisi de dire qu’avant d’être une succession signifiante d’événements nos vies sont, surtout, le souvenir que l’on en a. Des fictions, en somme.