Le Point Références, janvier 2016, par Sophie Pujas

Relire Celan

On pourrait plaider sans exagération que le poète Paul Celan fut l’une des victimes tardives de la barbarie nazie. Son suicide, en 1970, mit fin chez ce survivant à un déchirement intérieur insupportable hérité de la guerre…
Celan naît en 1920 au sein de la communauté juive de Czernowitz, capitale de la Bucovine, ancienne province de l’Empire austro-hongrois devenue roumaine à la fin de la Première Guerre mondiale. Sa langue maternelle est l’allemand. En 1941, après l’invasion nazie, un ghetto est érigé dans le quartier juif de la ville. Les parents de Celan sont déportés et assassinés. Lui-même est envoyé dans un camp de travail, et contraint pendant un an et demi à extraire des pierres et tailler des routes. « Le meurtre de ses parents et, au-delà de sa tragédie personnelle, l’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, forment l’horizon traumatique sur lequel l’ensemble de son œuvre poétique se détachera », note Stéphane Mosès (1931-2007), dont les essais autour de l’écrivain sont aujourd’hui rassemblés pour la première fois.
Alors étudiant, ce spécialiste de la pensée juive avait rencontré Celan et avait osé l’interroger : « Comment avez-vous pu vous décider à écrire dans la langue de vos bourreaux ? » Une énigme qu’il tente d’approcher dans ces textes où il revient sur le rapport conflictuel de Celan avec sa culture allemande, et la tension entre l’oubli et mémoire à l’œuvre dans ses poème.

Imaginaire biblique

Il explore aussi un autre pan de l’héritage culturel de l’écrivain, celui de la culture juive. Ainsi dans ces poèmes consacrés à Jérusalem, où l’imaginaire biblique est sensible. En parallèle de cette analyse de l’œuvre, une correspondance de Paul Celan avec son ami René Char (1907-1988), elle aussi inédite, permet d’entrer dans l’intimité du poète. Les deux hommes, liés par une grande admiration mutuelle, se traduisirent l’un l’autre. Celan confie souvent à son ami ses tourment d’âme à vif, comme dans la lettre où, bouleversé, il évoque la mort accidentelle d’Albert Camus, l’un des intimes de Char, le 4 janvier 1960. Une lettre qu’il n’enverra pas.