L’Hebdo, 7 janvier 2016, par Julien Burri
Dans Mourir et puis sauter sur son cheval, le romancier David Bosc met en scène une femme scandaleusement libre.
Après le brillant récit La Claire Fontaine, paru en 2013, qui racontait les années suisses du peintre Gustave Courbet, David Bosc s’inspire cette fois d’une Anglaise anonyme. Une femme de 23 ans qui s’est suicidée à Londres en 1945 en sautant nue d’une fenêtre. De Sonia A., le romancier ne sait presque rien, une allusion dans les carnets du poète Georges Henein et quelques coupures de presse. À l’image des flocons de neige, qui ont besoin pour se former d’une poussière infime, son roman se cristallise autour de ces bribes. Il redonne voix de façon magistrale à une réprouvée considérée comme une démente, dans une époque où les suicidés faisaient l’objet, en Angleterre, d’un grotesque procès post mortem.
Son récit court, saisissant, procède d’une écriture précise et très évocatrice, qui fait voyager dans plusieurs directions en même temps. On sent Londres bruire, cette ville bombardée qui étouffe dans la poussière des décombres comme en un brouillard. On voit Sonia vivre et penser. Elle fait l’amour, dessine, lit Nietzsche, rêve d’un monde qui « abatte les cloisons entre les êtres ». Des préoccupations contemporaines affleurent, car c’est de notre temps aussi que parle l’auteur. De la violence sociale et de ce à quoi doit tendre l’art. Enfin, au cœur de ce bref texte dont on n’a pas épuisé la richesse, il y a une ode à l’hybridation. À l’opposé d’une « pureté » aryenne, la vie semble résider dans les échanges entre les corps et les espèces. Entre végétal et animal, entre une femme, une hirondelle et une sangsue. Comme dans les fantasmagories hallucinées de Bosch, que Sonia admire. Il y a là un panthéisme, une fête du vivant, jusqu’à la folie.