Sud-Ouest, 10 janvier 2016, par Gérard Guégan
Inachèvement du rêve
Olivier Rolin symbolise le rêve inachevé, ce moment d’ivresse où tout adolescent, quel que soit son sexe, s’imagine un destin flamboyant. Ce moment où le stendhalien ignore qu’il finira, l’âge venant, dans la peau d’un disciple d’Huysmans. Veracruz, son nouveau roman, en apporte une preuve supplémentaire. Là-bas, dans ce port mythique du golfe du Mexique, un soir de juin 1990, le narrateur attend Dariana, la jeune chanteuse cubaine dont il est passionnément amoureux. Tout de suite, on se dit que Rolin et le narrateur sont une seule et même personne, et que sous la fiction se profile la confession. Ce n’est pas tout à fait exact, c’est plus subtil que ça. En dépit d’un goût commun pour les feutres qui dissimulent les « débuts de calvitie » et pour les commentaires iconoclastes sur Proust, le narrateur de Veracruz n’est Rolin que lorsqu’il s’étend sur la beauté des femmes. Comme dans cette célébration de Dariana, l’absente : « Il y a parfois dans un geste, une démarche, une façon de se retourner vivement pour sourire, un froncement du nez, plus d’esprit que dans une création purement intellectuelle. » C’est là le propos d’un stendhalien, d’un homme qui, entre Mao Zedong et Lucien Leuwen, avait déjà choisi son camp.
Sinon, le narrateur de Veracruz, possiblement un jésuite défroqué qui ne croit plus en grand-chose, a le verbe amer. « La littérature, dit-il, est une tromperie sans fin. » Plus tard, alors qu’il s’est réfugié en Chine, il se repent d’avoir pensé que tout avait un sens, d’où son constat : « Mais pourquoi les choses devraient-elles être ordonnées, emboîtées, pourquoi le temps ne pourrait-il pas rebrousser son cours ? »
Entre-temps, Rolin nous aura livré quatre récits brefs et terribles des temps obscurs, ces temps que nous voulons fuir et qui ne cessent de nous rattraper. Bref, entre hymne à la vie et pavane pour une chanteuse défunte, Veracruz trace son sillon.