Sud-Ouest, 10 janvier 2016, par Olivier Mony
Paco dans le marais
Les suites de l’apprentissage de son alter ego Paco Lorca, jeune médecin projeté dans une terre, le Marais poitevin, qui lui est tellement étrangère.
Voici plus de dix ans, un médecin bordelais, inconnu au bataillon des éminences littéraires, fussent-elles locales, fit irruption avec fracas et élégance dans notre paysage. Outre qu’il faisait ainsi la démonstration, après Céline ou Lobo Antunes, que le roman peut avoir partie liée avec le serment d’Hippocrate ; dans ce splendide et inaugural Jours de marché, François Garcia, puisque c’est de lui qu’il s’agit, redonnait à un quartier (c’est-à-dire à un monde en soi), celui des Capucins, toute sa dignité, blessée par trop de folklore odieux… Ses lecteurs devaient bien se douter qu’on n’en resterait pas là, que ce coup de maître était aussi l’ébauche d’une œuvre.
De fait, voici Le remplacement, quatrième roman de Garcia, certainement l’un des plus aboutis. De quoi est-il question ? De la même chose que toujours, d’éducation sentimentale, des rapports de classe, de la nostalgie des taureaux (ici reléguée en fond de scène, comme une lointaine douleur, un lancinant rappel), de la faiblesse des hommes, et de Paco qui essaie de se débrouiller comme il peut avec tout cela, Paco encore et toujours…
Paco Lorca, fils d’épiciers aux Capus, croisé de livre en livre, c’est l’alter ego romanesque de François Garcia. On le retrouve ici, à l’heure du giscardisme triomphant, jeune interne, amené à assurer le remplacement d’un vieux médecin de famille souffrant, au cœur du Marais poitevin. Un univers qui n’est pas le sien, entre terre et eaux, vieilles pierres et secrets enfouis, voisinages rances, superstitions, immémorial jusqu’à l’oubli de sa propre humanité.
Grandir
Paco doit composer avec ses faiblesses, exilé de lui-même, de ses désirs. Une femme lui rend parfois visite, les passions politiques des temps grondent dans le lointain, le désir et l’ennui s’exaspèrent. Paco devra se perdre tout à fait, accepter que passe si peu le temps qui passe sur sa jeunesse, pour sinon comprendre cette terre étrangère, la laisser vivre et mourir, en saisir l’irréfragable humanité. Paco devra grandir. Paco devra vieillir.
Ce qui ne vieillit pas, en revanche, c’est la beauté, l’oralité très travaillée de la langue de Garcia qui éloigne en ces pages les spectres du naturalisme, voire du sentimentalisme. Il faut se laisser aller avec elle, en épouser toutes les dérives. À ce prix, l’on comprend que le projet de vie de Paco Lorca est devenu, quarante ans et quatre livres plus tard, le projet littéraire de François Garcia. Mort et transfiguration.