L’Express, 24 février 2016, par Marianne Payot
Médecin des champs
Le docteur et romancier François Garcia ressuscite la campagne d’hier. Une jolie piqûre de rappel.
De l’eau, de la brume, une atmosphère étrange, inquiétante et feutrée… On se croirait dans la Louisiane de Bertrand Tavernier, nous sommes en 1974 dans le marais poitevin, entre Niort et La Rochelle, en compagnie de Paco Lorca, jeune interne frais émoulu de l’université de Bordeaux. « J’en avais assez de la campagne », note mélancoliquement ce dernier, remplaçant depuis quelques mois un médecin de famille « à l’ancienne». Bizuté comme il se doit, de garde toutes les nuits, il assure les urgences en yole jusqu’aux fermes les plus reculées du canal. La boue, la misère, la maladie envahissent le quotidien du carabin d’origine espagnole, qui toréait, il n’y a pas si longtemps encore, dans les plazas andalouses.
Il enchaîne les consultations, comme il enchaînait les figures. Rhumes, tensions artérielles, prises de sang, renouvellements de traitement… Bientôt les patients baissent la garde, y vont de leurs confidences, le village lève le voile. Les amours de la jolie fruitière, la rivalité (hilarante) des Capulet et des Montaigu locaux, les frasques d’un benjamin, ex de la gauche prolétarienne, les premiers avortements de la France de Giscard d’Estaing… Tandis que Paco le narrateur observe, entre lucidité et empathie, la comédie humaine, Lorca le médecin apprend à faire reculer le mal mais aussi à affronter la mort.
C’est à n’en pas douter le traitement que suivit son alter ego, François Garcia, médecin homéopathe bordelais. Depuis 2005, avec Jours de marché, ce fils d’immigrés espagnols déroule avec doigté le fil de sa vie. Jusqu’à ce beau roman d’apprentissage qui, phrase souple, langue fluide et œil vif, ressuscite la France d’hier, si proche et si lointaine.