Centre France, 28 février 2016, par Daniel Martin
À contretemps
Noter au jour le jour les menus faits d’une vie, d’une époque avant que le temps ne transforme ce qui fut. Consigner le tout dans des Carnets.
Chaque matin, « Debout à six heures, ciel voilé » ou « Debout à cinq heures. Le temps a changé. Aux sombres nuées qui pesaient, hier, sur la terre a succédé un ciel claire ». La journée peut commencer.
Il subsiste chez Pierre Bergounioux, né à Brive où il a grandi, quelque chose de provincial. Lointain héritage de ses ancêtres paysans dont il aurait pu se laver, se défaire, depuis si longtemps qu’il vit en banlieue parisienne.
Paris et la Corrèze, deux pôles, entre lesquels il partage son existence. À l’un, il réserve le travail ; à l’autre, les vacances, la sculpture. Les relie par de fréquents voyages en voiture pour lesquels il emprunte la RN89, de préférence à l’autoroute.
De menus faits qu’il consigne scrupuleusement depuis des années. Ce qui ajoute à ses Carnets, pour l’essentiel intime, des notes climatiques et géographiques.
Il consigne tout, au jour le jour, ce qu’il voit, ressent ; les sien, ses proches, ses amis : toute une galaxie d’êtres qui agissent, rien ou meurent et deviennent, au fil des pages, des personnages dont on aime suivre les aventures. Il dit encore le détour de ses pensées, ses lectures, ses travaux et son corps vieillissant, atteint d’un mal qui le laisse parfois au bord du vertige, proche de l’évanouissement. Fragile. Un effet du temps qui passe.
Ce temps contre lequel il lutte sans relâche. Un combat bien inutile s’il n’écrivait comme il le fait, dans ses romans, ses Carnets, pour dire au plus près ce qui fut. En porter témoignage. Le léguer au futur pour qu’il s’en nourrisse. Avant que la mémoire n’en perde la trace, le transforme ou l’enjolive. Travers auquel il lui arrive de céder : « Nous avons tout eu tout de suite, et tout nous est retiré, déjà. Serait-ce plus supportable si nous n’avions d’abord été si heureux ? »