Hippocampe, mars 2016, par Claude Chambard
C’est à Paris-la-Neuve, le jeudi 8 floréal, jour de la Corbeille d’Or, 7 mai de notre calendrier, que commence le livre de François Dominique, qui se termine le vendredi 4 nivôse, jour de l’Olive, (bien que le jour de l’Olive soit le 29 frimaire et le 4 nivôse le jour du Soufre). Entre ces deux journées, de la période de l’épanouissement des fleurs à celle de la neige, qui placent le livre sous les auspices de Fabre d’Églantine et de son compère André Thouin, le narrateur, Franck, tient une façon de journal dans un monde en reconstruction – après catastrophes, pandémies, guerres, puis domination du monde par Octopus (une dictature financière), pour aller vite. Franck vit avec Lucy et, alors que la stérilité règne, ils attendent un enfant, une fille, Iselle, prénom trouvé par Lucy dans un rêve où elle pouvait choisir dans le Gisement des Noms.
Ce n’est donc pas hasard si partout la ville se couvre, des balcons aux toits,de fruits et légumes et que la flore la plus désordonnée résiste entre les pavés, prolifère dès qu’elle peut. Ce n’est pas donc pas hasard si tout prend des tours étranges dans ce Paris du futur en reconstruction où de nouveaux matériaux offrent des possibilités inouïes, comme ces cages de verre élastique sur les toits, tout tendant à créer une nouvelle esthétique qui conciliera mémoire et recherche d’un urbanisme fondé sur la lumière et la transparence, alors que sur certains trottoirs les gravats s’amoncellent encore et que de nombreux quartiers interdisent toute culture.
Dans ce monde hésitant, on croise des personnages résolument tournés vers un avenir qui ne pourrait qu’être radieux, des vestiges du passé, des êtres perdus qui viennent faire boiter les certitudes et Franck, musicien reconnu qui compose une berceuse sur les lettres du prénom de sa fille à venir, i. s. e. l. l. e., comme une conjuration peut-être, dès lors qu’on se demande « comment faire coïncider les deux mouvements d’exaltation, celui de l’art, celui du changement social? ».
Nous ne sommes pas dans Les Fils de l’homme – le film d ‘Alfonso Cuarén d’après un roman de P. D. James –, le chaos est derrière nous, et ici la stérilité est en voie de guérison, peut-être que le groupe de scientifiques du film, secrètement basé aux Açores en 2027, a permis l’avancée des recherches 500 ans plus tard (approximativement), recherches auxquelles participe Lucy qui dirige le département de biologie moléculaire. Et Lucy est enceinte. Mais les Flashies rodent qui eux veulent dépeupler toujours plus, considèrent qu’il y a encore trop d’enfants et veulent établir le royaume de Dieu sur la terre. À croire que le monde ne changera jamais.
Franck est inquiet durant la grossesse de Lucy, il peine à terminer un opéra en cours. La joie de la naissance sera obscurcie par les actes terroristes des Flashies. Le monde ne va pas aussi bien que le couple le souhaiterait. La République sociale qui œuvre pour la mise en commun des ressources ne suffit pas à calmer les angoisses d’un monde qui va peut-être trop vite tout à coup et où les exclus, volontaires, sont nombreux. Dès lors, le livre est une belle méditation sur la naissance, la création, la société et la cité en mutation et prend, au fil des pages, une vraie dimension politique.
Délibérément optimiste, François Dominique, écrit ici un roman de la foi en l’homme, en ce qu’il a de meilleur, de plus créatif, même dans l’angoisse et le doute, avec une jolie teinte politique.Iselle ressemble comme une sœur à la merveilleuse Solène, qui donnait son titre à son précédent livre, paru en 2011 chez le même éditeur. Solène – dont la mère était musicienne – créait son propre langage dans lequel vivre et / ou disparaître : « Cigales … abeilles .. . étoiles… fadosol… Sol… cig… ab … ét … cig … cig … cig … je … s’en va. ». Ici, les gazouillis, la mélodie, d’lselle « eïa – ia – ua – ô – ioa – ohéo – eïa – ahéa – o – rlou – raé – àoua – i » sont le début de la langue et de la musique – « qui est du présent vertical», et les langues des deux sœurs en littérature nous donnent le socle même de l’œuvre que constitue avec infiniment de patience François Dominique depuis son premier livre Aséroé publié par P.O.L. en 1992, prouvant, si besoin était, la justesse du sillon tracé avec pugnacité et invention toujours. Ce sont rêves d’enfant que ces livres qui nous transportent dans ce que nous avons de meilleur toujours.