Le Point, 21 avril 2016, par Sylvain Tesson
[…] Les parois du Cap Canaille sont truffées de grottes, mais c’est vers l’ouest, dans les calanques de calcaire blanc, que nos ancêtres colonisaient des grottes pour y créer leurs cathédrales de beauté, décorant les parois de peintures magiques. Le regard se porte à l’est, vers l’île de Riou et vers les plateaux abritant la grotte Cosquer. Pendu à mes cordes, je pense au salut que Jean-Jacques Salgon adresse aux aurignaciens de la grotte Chauvet dans son beau livre Parade sauvage. L’écrivain y célèbre le génie de ces artistes, « frères d’art ». Il s’interroge sur les sources d’inspiration de ces voyants d’un autre âge et sur la destination de leurs compositions pariétales. L’homme menait en ces « Vézelay souterraines » une conversation organique avec l’âme du monde. La révélation monothéiste ne lui avait pas encore enjoint de « dominer » la nature. Salgon entend dans l’injonction biblique de soumettre les plantes et les bêtes les « accents d’une revanche ». Après qu’il eut lutté d’arrache-pied venait pour l’homme le temps d’arraisonner son environnement. Soudain, je sens monter en moi un tremblement pénible. En bas de la paroi, c’est la crise d’épilepsie qui se déclenche et je me mets à convulser dans les rochers. Pourtant, j’ai respecté scrupuleusement les posologies de mon traitement, dont les effets secondaires ressemblent au résumé d’un livre de Cioran : « Idées noires et pensées suicidaires ». Moralité : ne pas songer aux transes des chamans de la préhistoire quand on se suspend entre ciel et terre. […]