Transfuge, mai 2016, par Oriane Jeancourt-Galignani
Siti on fire
Événement de La Comédie du Livre, la venue de l’explosif Walter Siti, écrivain de l’Italie contemporaine. Il évoquera Rome comme matériau romanesque avec Marco Lodoli le vendredi 27 mai à 18h à l’espace Rencontres de la Comédie et animée par Transfuge.
L’une des très bonnes nouvelles de celle Comédie du Livre, c’est la présence de Walter Siti. Trop rare en France, il est une des voix les plus vives, les plus iconoclastes, bref les plus passionnantes de la littérature transalpine.
On le découvrait il y a quelques années dans Leçons de nu, autofiction ironique et brillante, où Walter Siti mettait en scène un professeur d’université attiré par les hommes bodybuildés, à sa honte et son plaisir. Double assumé de lui-même. C’était son premier roman publié en Italie en 1994, et dix-huit ans plus tard en France par les éditions Verdier. Dans une langue hypnotique, il livrait la chronique d’une passion, et célébrait le désir. « Son corps (sans qu’il le sache) donne des ordres tellement absolus qu’il faut mentir pour être à la hauteur ; ses pectoraux méritent que le ciel soit toujours serein ; que les histoires soient toujours intéressantes, que je sois toujours parfait : tout signe de médiocrité ferait s’effondrer la terre sous nos pieds. » On pensait à Pasolini, dont Walter Siti a présidé à l’édition des œuvres complètes, pour l’art de mêler crudité et poésie. Dans le même temps, il décrivait avec une verve corrosive les années quatre-vingt. Les années du corps-marchandise, mais aussi du sida, auquel est confronté le narrateur.
Deux ans plus tard, Siti se réinventait en romancier de la finance. Sans perdre sa singularité. Résister ne sert à rien (Métailié) dépeignait la folie des années Berlusconi avec une verve entre le Satyricon et Tom Wolfe, la décadence du dernier siècle de l’Empire romain et la folie du XXIe siècle, le rire grotesque et le picaresque. Siti n’annonçait rien que nous ne sachions déjà (la victoire de l’argent facile, de la beauté et du spectacle). Mais à ces phénomènes de notre époque, il donnait quelque chose de nouveau : une langue. Il incorporait le langage ultracontemporain des financiers à son écriture: le résultat était stupéfiant. Après lecture de Résister ne sert à rien, il n’était plus possible d’entendre parler finances sans penser à celle langue gonflée, saccadée, plongeant à la fois dans le registre sexuel et sportif. Ni à ignorer Siti, sceptique hilare, peintre de la nouvelle décadence romaine. L’année dernière, enfin, il publiait La Contagion (Verdier), on retrouvait dans ce roman excessif et convulsif l’une des figures fétiches de Siti, le bodybuilder entouré de personnages abîmés dans une nouvelle Nef des fous italienne telle que lui seul peul les décrire, « les borgate » de Rome, ces enclaves populaires où se mélange une population hétéroclite, lieux chers à Pasolini. Siti, capable de passer de l’université aux borgate, de la haute finance aux boîtes de bodybuilders, s’avère donc l’écrivain suprêmement baroque et juste de l’Italie contemporaine. Et s’il nous parle de Rome à Montpellier, nous sommes comblés …