La Plume au vent (bulletin de la Société de lecture de Genève), mai 2016
Sonia Araquistain, jeune artiste de 23 ans, fille de l’ancien ambassadeur d’Espagne en Grande-Bretagne, se jette d’une fenêtre en criant: « Nous ferons avec les oiseaux une race d’immortels » et s’écrase sur les pavés londoniens en septembre 1945. Cet acte fulgurant, relevé par le poète surréaliste Georges Henein qui proteste contre le procès intenté à la suicidée, constitue le point de départ d’une éblouissante improvisation de David Bosc. Le Sunday Express mentionne que Sonia A. tenait un carnet dans lequel elle transcrivait ses rêves et leur interprétation. Sans rien savoir de la jeune femme exaltée, mais frappé par son destin, l’auteur relève le défi d’inventer son carnet intime. Il restitue avec une remarquable justesse une voix fébrile, intense, nourrie d’urgence, et parvient à faire coïncider cette parole éparse avec une langue infiniment attentive, toujours précise dans sa rythmique, souvent surprenante dans ses formules. Ces notes révèlent l’image d’une femme frondeuse, aux désirs irréalisables, éprise de liberté, qui passe ses nuits à parcourir les rues obscurcies de Londres sous les bombardements, au hasard des inconnus qu’elle suit, danse à perdre haleine dans son atelier, joue avec les aquarelles et l’eau des lavis, se rêve en chimère. Le lecteur est emporté par la sauvagerie de Sonia, sa lucidité aussi, car la folie du personnage est d’abord un défi à la bêtise humaine, dont la guerre et la bourgeoisie sont les avatars.