Livres hebdo, 27 mai 2016, par Laurent Lemire
Jean-Louis Comolli analyse les films de propagande de Daech
Décapitations, noyades, crémations. Les films du studio Al-Hayat ne sont pas des films comme les autres. Et pourtant, ces productions de Daech relèvent du cinéma puisqu’il y a prise de vue, cadrage et diffusion. C’est ce qu’explique Jean-Louis Comolli dans cet essai passionnant qui analyse le trio Daech, cinéma, mort. L’ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, lui-même réalisateur, se désole de voir l’art auquel il a consacré sa vie devenir, via Internet et les réseaux sociaux, un tel diffuseur de haine.
Jean-Louis Comolli a visionné ces films. Face à leur bestialité, il a tenté de comprendre ce qui se passait. De quoi s’agit-il, qu’est-ce qu’on nous montre dans ce cinéma de cruauté. Les nazis ne filmaient pas leurs crimes pour les dissimuler, les terroristes eux les diffusent jusqu’à la nausée pour paralyser le spectateur et en faire selon le mot juste de Comolli un « mauvais spectateur ».
Chemin faisant, dans ce texte dense, efficace et précis, l’auteur de Cinéma, mode d’emploi (Verdier, 2015) propose une réflexion pointue sur l’image, sur l’art et sur ce qu’ils sont censés transmettre. Dans les clips de Daech, il s’agit encore et toujours de faire peur, de terroriser et de montrer les détails de cette barbarie. Jean-Louis Comolli a raison de souligner la proximité de ces images dégradantes avec celles de la pornographie. Elles instaurent chez les fanatiques une relation ambiguë avec le désir en transformant la pulsion sexuelle en pulsion de mort. Pour autant, Daech s’inscrit parfaitement dans la société du spectacle. L’organisation terroriste reprend les méthodes de cet Occident détesté en filmant ses massacres comme le cinéma hollywoodien filmait les catastrophes. Sauf que comme disent les enfants, « c’est pour de vrai ». Ainsi le statut de l’image change et le monde se dématérialise par la multiplication des écrans. C’est ce à quoi nous incite à réfléchir cet essai lucide et éclairant.