L’Humanité, 16 juin 2016, par Alain Nicolas
Une passion et quatre récits
Un écrivain français rencontre une Mexicaine avec qui il va vivre une passion brève et intense. Un jour, il reçoit des textes terribles.
« Proust m’énerve. » C’est le titre choisi par le narrateur, un Français invité par l’université de Veracruz, pour ses conférences. Et c’est à l’occasion d’une de ces soirées qui accompagnent inévitablement ce genre d’événement qu’il rencontre Dariana. « Elle vint vers moi et ma joie commença. » Le roman d’Olivier Rolin s’attarde peu sur les détails de cette passion. Le peu qu’il dit est essentiel, pourtant : Dariana s’impose comme une évidence, plus par la grâce de ses gestes, des ses mouvements, la passion est violente, mais peut être tendre. L’auteur, dans ce début de roman, sait donner toute leur force à ces « représentations conventionnelles de l’amour ». Qu’importe. Un jour Dariana, qui avait toujours refusé de lui dire où elle habitait, ne vint plus. L’amour prend fin et le roman commence, avec l’arrivée d’un paquet contenant quatre brefs récits.
Le plaisir quadruplé de raconter
Le premier est celui d’un jésuite chassé de son ordre pour ses écarts de conduite. Après avoir descendu tous les barreaux de l’échelle sociale, il se retrouve employé dans une étrange famille. Son travail consiste en l’édition d’un catalogue de livres anciens à destination du public américain. Les ouvrages, évidés, servent à passer en contrebande des cigares cubains, interdits aux États-Unis. Le prêtre défroqué fait aussi fonction de lecteur pour Madame, qui est le véritable cerveau de ce trafic. Elle sait l’effet qu’elle produit sur les trois hommes de la maison : le curé, Miller son mari et El Griego son père. Chacun des quatre personnages va raconter à sa façon la même scène : lecture, désir, conclusion tragique.
D’où viennent ces quatre récits ? De Dariana, est-on tenté de répondre. Mais, en bonne logique, rien ne permet de le dire. Aucun indice ne permet de relier la brève passion du narrateur à ces moments assez graves. Mais on a très envie d’y croire. La perte de l’amour est-elle rachetée du don de la fiction ? Il reste que, si l’on peut voir à l’œuvre le plaisir quadruplé de raconter, Veracruz le prolonge en une méditation sur l’art et les pouvoirs du roman.
Olivier Rolin pose en figure centrale la recherche de la beauté, et joue des retournements que lui permet sa liberté d’auteur. Veracruz est le roman d’une impossibilité de se satisfaire d’un seul point de vue, d’en rester à quelques paroles éphémères, et de considérer le beau comme évident, à la manière dont Dariana est vue par le narrateur. Sans oublier les charmes de la contradiction maniés par un écrivain conscient de ses pouvoirs.